Complainte de la butte moderne
Peut-on être parisienne et voyager tout en restant à Paris ? Assurément, la réponse est oui. Et c'est lors d'une flânerie improvisée sur la butte Montmartre la semaine passée que m'est apparu ce drôle de constat. Car c'est un fait: j'ai beau connaître l'endroit, il change sans moi et m'entraîne dans son pêle-mêle de nouveautés à chaque fois. Loin de ne l'apparenter qu'à un charmant village touristique, celui du Chat Noir, du Moulin de la Galette, du Lapin Agile ou du French Cancan, je le perçois d'avantage comme un lieu artistique en perpétuel mouvement, subtil mélange de différents courants, de l'ancien au moderne, qui s'entrechoquent et se provoquent pour finalement ne faire qu'un. De la sorte, Montmartre puise sa personnalité dans sa prise de risques, son mystère inavoué, ses ruelles sinueuses et tout l'imaginaire qui pourrait s'en découler. Montmartre a un passé indépendant et fier qui lui confère son Histoire. Mais Montmartre est avant tout une légende réelle, de celles qui s'écrivent au présent et conjuguent leur intensité artistique à tous les temps. Montmartre se galvaude et Montmartre créé. Montmartre toise insolemment la ville à ses pieds. Montmartre vit bruyamment ou demeure abandonnée... Alors, dans ce voyage de l'impertinence dont la solitude palpable fait écho aux plus originales folies, la butte surprend et séduit. Elle exaspère, effraie, attire ou éconduit.
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La balade d'aujourd'hui, vous l'aurez sans doute compris, ne vous montrera pas la Basilique du Sacré-Coeur ni la Tour Eiffel vue de loin tendance panoramique. Elle ne s'attardera pas non plus sur les peintres de la place du Tertre ni sur la visite des vignes; et encore moins ne s'épanchera sur les vendeurs ambulants et l'aspect touristique. Bien au contraire, j'ai voulu montrer le reflet d'un moment, d'une ambiance. Un instant capturé sur le vif, unique, et qui tend à s'enfuir. Et plus important que tout, un ressenti en totale subjectivité. Probablement parce que chaque récit a son identité propre. Ici alors, il ne dérogera pas à la règle et trahira une saison, une émotion, un état d'esprit... Autant de petites choses qui font la différence et offrent la part belle à l'évasion passablement street art vers laquelle, dès à présent, nous nous rendons.
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"Les ailes des moulins protègent les amoureux", qu'elle disait la chanson.
Un refrain romantique et l'éloge de la passion ou finalement beaucoup de trahison ?
Apparemment, "l'amour est mort... (mais pas trop)". Et l'on y croit bien volontiers,
Plongés que nous sommes, rue des Trois Frères, dans l'insolite blasé des graff' spontanés.
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Toujours rue des Trois Frères, contemplation de graffeurs-graffant-photographiés.
L'Escale était un bar à cocktails réputé dans le quartier. Oui, mais il a brûlé...
Aujourd'hui réouvert plus loin, son ancienne façade ne compte pas s'attrister
Et présente au passant curieux ses tags multiples et des fresques renouvelées.
Invader, Mister P, Gzup, Oré and co pour un joyeux bordel pêle-mêle ?
La recette parfaite du méli-mélo audacieux des petites ruelles,
Street art à tous les étages, le nez en l'air, l'enthousiasme bien réel.
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... Passage des Abbesses...
En contrebas pourtant, c'est le Montmartre-village qui prend le dessus
Avec le poids du passé et son imbroglio architectural bienvenu.
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Les grimaces de El Moot Moot ou la provoc' de Paddy ?
Parce que l'effronterie met du piquant dans la vie,
Elle s'empare aussi des immeubles que le temps a abandonné et terni...
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... S'il vous prend toutefois des envies de vieux Paris,
Quelques célébrités du 19ème siècle sauront satisfaire votre regain de nostalgie.
Place Émile Goudeau ou rue Azaïs, la chasse au trésor est lancée,
Pour dénicher toutes les fontaines Wallace de la Comté.
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"Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux."
Mais ceux de la rue du Calvaire se jouent de la montée
Quand de part et d'autre, les fresques colorées imposent leur liberté.
Le Sacré-Coeur orangé en devient le Saint-Graal de l'arrivée;
Et cerise sur le gâteau, il nous offre une petite variante Disney !
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"Il y a bien plus de Montmartre dans Paris que de Paris dans Montmartre !"
Alors, en panorama digne de ce nom, Paris la magnifique se pâme dans son coin;
Mais au soleil couchant sur Montmartre l'onirique, la ville-capitale semble déjà loin.
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Clap de fin en beauté avec l'Happy Hour du Tagada Bar. Excellente adresse au demeurant, on retiendra ses cocktails aux fruits frais savoureux (c'est pas faux !) et une ambiance digne des bars les plus sympathiques d'Oberkampf. Pour les petits curieux et les bons vivants, tout ce que vous avez besoin de savoir sur le lieu se trouve [par ici]. Et pour clôturer la journée à la nuit tombée, sachez qu'aussi fortuite qu'elle soit, ce fut une excellente idée.
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Pluralité, séduction... Montmartre est donc cette colline aux deux visages dont l'art imprévisible agace ou attendrit. À deux pas des peintres qui croquent les touristes, le moindre coin de rue trouve lui aussi sa propre fantaisie, sorte de symphonie moderne et éphémère qui donne de sa personnalité pour exister. Un peu d'humour et de culot, de l'espièglerie à revendre et beaucoup de murs à faire parler, nul doute que le passé ait rendez-vous avec le présent pour rendre aux fantômes aventureux leur âme novatrice et leur esprit d'à-propos.
-Livy-