Duo d'expo' sur son lit de mode
Vous avez dit rétro ? Parce qu'il n'est pas nécessaire, pour parler mode, de faire de longues virées shopping ou bien les soldes (même si en cette période, c'est relativement tentant), je vous propose une balade dans le temps, culturelle et féminine à la fois. Ma flânerie s'égare pour l'occasion au détour de deux expositions parisiennes qui ont marqué l'automne ou bien l'hiver, et ont su s'imposer, instructives et charmantes, non sans une réelle élégance. Au gré de ces errances joliment surannées, je me suis enrobée d'une rêverie modesque, douce et délicate: il n'en fallait pas d'avantage pour m'inspirer ce billet. À mi-chemin entre coup de cœur véritable et impressions en demi-teinte, que volent désormais les corsets, les accessoires et autres robes de soirée ! Je m'empresse de vous faire pénétrer dans les couloirs des Arts Décoratifs et du musée Carnavalet, véritable invitation au sein d'un univers ouaté où affluent romanesque et mystères chuchotés. Les lieux pourraient bien vous dévoiler quelques secrets...
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La Mécanique des Dessous aux Arts Décoratifs
(Une histoire indiscrète de la silhouette)
La Mécanique des Dessous est cette exposition, résolument glamour, qui nous emmène explorer tous les artifices dont ont usé hommes et femmes au fil des époques afin de se concocter de bien flatteuses silhouettes. Dans un univers tamisé, intime juste ce qu'il faut, les costumes finement ouvragés se mêlent aux sous-vêtements et autres mécanismes (de torture ?) et dressent ainsi, courbes outrancières à l'appui, un tableau très complet en matière de mode, symbolique évidente de l'évolution des tendances. Car ce que le visiteur découvre ici avant tout, c'est bien la singularité des diktats de la mode et leurs choix contraignants, aussi improbables que douloureux. Avec un beau sens du détail et même un brin d'humour, chaque nouvelle section de l'exposition est truffée d'anecdotes et nous entraîne au sein d'univers hauts en couleurs où l'inventivité fut bien souvent synonyme de tricherie... Oui, mais à quel prix ?
Des corsets aux cerceaux, des serre-tailles aux faux-culs, les femmes ont vu leurs corps malmenés jusqu'à l'extrême dès le plus jeune âge, s'imposant des armatures inconfortables et autres parures très "mécaniques" qui nous feraient nous évanouir en moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'écrire. Souligner leurs tailles de guêpe jusqu'à l'extrême, affirmer leur poitrine ou la dissimuler, faire ressortir la cambrure, rehausser le galbe du fessier et rentrer le ventre ? Nos ancêtres féminines, loin d'opter pour des solutions naturelles et casual, ne se sont pas seulement mises en valeur mais ont également affirmé, par le biais de l'habillement (et par conséquent des dessous qui peaufinaient ledit habillement), leur personnalité propre tout en revendiquant liberté et féminité. Les vêtements comme moyen d'expression alors ? C'était cela aussi, être une femme et l'assumer.
N'allez toutefois pas croire ces messieurs en reste. Eux ont également optimisé leur silhouette afin d'assurer une virilité somme toute assez amusante, pour nous autres contemporains. De la courbe bien ronde de leurs mollets aux braguettes avantageuses, en passant par des rembourrages voués à bomber le torse le plus possible, les dispositifs mis en place étaient certes moins désagréables que ceux des dames, mais tout aussi ingénieux !
Ludique ? Assurément. Car la La Mécanique des Dessous ne se contente pas de proposer à son visiteur cette jolie (et très complète) collection, condensée sur deux étages. Au contraire, elle nous propose de participer à cette évolution, de comprendre la technique et de s'y plonger d'emblée. Ici, on découvre des extraits de films en costumes, des caricatures sur la mode, des "modes d'emploi", des astuces diverses et variées afin de mieux appréhender chaque pièce et son fonctionnement. Là, un salle est mise à la disposition des plus audacieux -et courageux- afin de s'adonner à un essayage de corsets et autres crinolines. Fous rires garantis. Mais une prise de conscience un peu aussi.
Car la force de l'exposition, précisément, est de nous montrer l'ensemble de ces structures, plutôt insolites aujourd'hui, mais qui dissimulent un travail inouï de laçages, d'enchevêtrement de tissus, de superpositions et de mécanismes dignes d'un Géo Trouvetout. De plus, bien que les films en costumes soient monnaie courante aujourd'hui, ceux-ci même qui font rêver les jeunes filles, la question des "dessous" s'est toujours nettement moins posée et pourtant... C'était bien ces dessous qui constituaient la base d'une tenue, générant la forme et travaillant le corps en le remodelant sans cesse, à mille lieues de notre chirurgie esthétique actuelle. Tout l'intérêt réside d'ailleurs dans cette originalité que représente le renouvellement permanent de la silhouette.
Forte de ces changements, la dernière salle enfin, nous propose une lingerie plus habituelle puisqu'elle revient à des temps moins reculés et met en scène toute une série de push-up et gaines amincissantes que nous connaissons bien aujourd'hui. D'avantage bluffant encore, une dizaine de mannequins aux formes passablement diversifiées évoquent LA silhouette idéale au fil des époques, et de façon chronologique. Cette dernière change et se contorsionne à foison pour parvenir à nos codes actuels. Cependant, ces dessous mécaniques d'un autre temps continuent de plaire; les instruments de torture vintage sont également la représentation d'une vraie sensualité et ont inspiré nos plus grands couturiers, de Jean-Paul Gaultier à Chantal Thomass, qui les mettent en valeur avec fougue au sein de leurs défilés, créant ainsi un mix téméraire en l'ancien et le moderne.
Il n'en fallait pas moins alors pour transformer cette exposition délicieusement rétro (mais pas que !) en coup de coeur personnel. Sa thématique atypique et bien construite, sa richesse d'explications, la beauté de ses pièces et la mise en valeur de l'ensemble ont contribué à lui conférer une teinte de séduction mais, bien au-delà, un décryptage fort développé du corps et de la beauté comme l'on en fait rarement. De l'esthétique à la souffrance, il semblerait bien n'y avoir qu'un (maigre) pas, que le visiteur n'a de cesse de découvrir au fil de son époustouflante visite. Et si les hommes et femmes de chaque époque ont aspiré à une perfection certaine, l'exposition leur rend un bel hommage en créant à son tour un parcours impeccable. Ballet de métamorphoses incessantes, les diktats de la mode, souvent critiqués à juste titre aujourd'hui, nous prouvent ainsi leur longévité dans le temps. Contrairement à eux, La Mécanique des Dessous est actuellement achevée, mais évoquer son histoire avec enthousiasme me paraissait néanmoins une évidence, pour les amoureux(ses) du vintage comme moi, les fashionistas, les férus d'Histoire, et puis les autres.
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Roman d'une garde-robe au musée Carnavalet
(Le chic d'une parisienne de la Belle Époque aux années 40)
Pour quelques temps encore, le musée Carnavalet abrite, avec la finesse qui le caractérise, de très belles pièces du Palais Galliera et les met en valeur par le biais de son exposition Roman d'une garde-robe. D'avantage anecdotique que généraliste, par conséquent plutôt inédit, l'évènement examine en toute féminité la vie d'Alice Alleaume, première vendeuse de la maison Chéruit de 1912 à 1923, et retrace les différents évènements marquants de l'existence de cette dernière à travers ses effets personnels. De la sorte, nous sommes invités à parcourir sa biographie tel un roman, et la découvrir au fil des salles sous différences facettes, de la jeune fille passionnée à la mère de famille, tandis qu'Alice s'impose bien rapidement comme modeuse avertie de son époque.
Le premier aperçu en ravira plus d'une... De part et d'autres, les robes et accessoires d'Alice Alleaume trônent comme symbole évident du bon goût de la jeune femme. Les pièces sont de toute beauté, haute-couture évidemment, et finement travaillées dans des étoffes luxueuses brodées de perles ou de dentelle. Et si elles constituent plutôt la garde-robe d'une demoiselle faisant ses premiers pas dans l'univers fastueux de la Belle-Époque, l'exposition dévoile par la suite une réelle évolution en matière de mode, la première guerre mondiale ayant contribué à modifier quelque peu les lignes. Les tenues d'Alice se renouvellent ainsi avec l'Histoire. Les robes raccourcissent, les manteaux deviennent plus confortables, les vêtements de bain apparaissent doucement, la tendance orientalisante des sarouels ne passe pas inaperçue... Et la jeune femme de composer avec ces changements. Aux yeux du visiteur, elle apparaît de façon presque innée comme une sorte de pionnière du chic et de l'élégance, légende de la parisienne raffinée s'adaptant au modernisme sans difficulté.
Mais ce qu'il convient d'avantage de retenir est cet engouement, ce véritable culte qu'Alice voue à la mode, naturellement lié à sa famille. Ses correspondances juvéniles déjà, avec sa soeur aînée et sa mère, relatent des descriptions interminables de tissus et du travail effectué dessus. Son parcours professionnel dans une prestigieuse maison de couture de l'époque semble alors une évidence, tant la jeune femme se plaît à fréquenter ces établissements huppés de la place Vendôme et de la rue de la Paix. Par chance, Roman d'une garde-robe s'intéresse de près au milieu de la haute-couture, dévoilant par quelques huiles sur toile le labeurs des employées, exposant moultes échantillons de tissus et, de façon plus humoristique, mettant en scène des caricatures vintage, sorte de parodies destinées à différencier le bon goût du mauvais. Le visiteur est alors plongé dans cet univers assez méconnu (pour une néophyte comme moi, du moins), à la découverte des maisons de luxe (Paquin, Doucet...) et des tendances qui se révèlent. Et cerise sur le gâteau, nous apprenons que Marcel Proust va jusqu'à citer certaines de ces maisons dans son célèbre ouvrage À la Recherche du Temps Perdu. Ainsi, l'anecdotique devient emblématique de toute une période.
Outre les pièces exceptionnelles qui l'entourent chaque jour, le métier d'Alice Alleaume n'est pas à négliger: un poste prestigieux sur lequel reposait la réputation de la maison Chéruit. L'exposition nous éclaire à ce sujet et propose au visiteur de s'immiscer dans cette vie professionnelle hors-du-commun en nous montrant les notes qu'écrivait Alice sur ses carnets mais aussi la correspondance (souvent un peu privilégiée) qu'elle entretenait avec ses clientes. L'aspect "sur-mesure" alliant le talent à l'originalité, elle devait prendre en compte les exigences et remarques de chacune d'elles. Des bruits de voix retentissent d'ailleurs plus loin, retranscrivant les paroles que devaient prononcer les vendeuses de l'époque durant leur travail. Elles clament à l'unisson des retouches d'un temps désormais révolu...
Roman d'une garde-robe a l'intelligence de sa dualité, partagé entre vie personnelle et vie professionnelle. Les documents, correspondances, schémas, croquis, échantillons, photographies, agrémentés de tenues et bijoux magnifiques, rendent le moment un peu à part. Et si la vie familiale d'Alice est évidemment évoquée (son époux, sa fille...) par le biais de souvenirs de vacances et d'instants heureux, les dernières salles retracent également la perspective de bals effrénés et autres soirées déguisées. Comme si le visiteur (la visiteuse, devrais-je dire) pouvait s'imaginer paré de beaux atours, tourbillonnant au gré de la mode et de l'Histoire dans un Paris en pleine ébullition. Toutefois, ce roman intime reste une énigme à part entière qui permet de découvrir Alice Alleaume par bribes et s'enchanter de son raffinement ou de ses subtiles touches de folie, sans pour autant s'accaparer sa vie. Une réussite, donc.
Reste que personnellement, il m'a manqué quelque chose pour être complètement convaincue. L'exposition est certes riche, mais elle est aussi très courte. Et si la mode, son raffinement et son prestige m'intéressent grandement, encore plus dans ses tendances passées (pourquoi m'y serais-je rendue sinon ?), il m'a semblé qu'elle était beaucoup trop ciblée pour dresser un portrait objectif des époques relatées. La période exposée étant d'une extravagance à toute épreuve, il est sans doute dommage de l'avoir contemplé avec des oeillères plutôt qu'avec un certain recul. Aussi, je salue le choix de ce "roman" tout à fait audacieux et pertinent, mais j'aurais préféré, pour ma part, avoir porte ouverte sur diverses classes sociales et un point de vue d'avantage objectif, l'imaginaire trop "modesque" pouvant renvoyer à une certaine superficialité que je déplore un brin. Ceci étant, le mieux est encore de vous faire votre propre avis ;)
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Et puisque je n'allais pas flâner au musée Carnavalet sans prendre quelques clichés...
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Nous nous quittons ainsi sur ces photographies d'hiver, ces rêveries féminines, ces inspirations parisiennes et ces quelques fragments de vie. De l'émerveillement aux sentiments mêlés, il réside des souvenirs uniques dans chaque sortie, pourvu qu'on décide de les y placer avec fantaisie. Alors, encore sous l'effet d'une thématique vintage toute en harmonie, permettez-moi de vous souhaiter dès à présent un fort joli vendredi !
-Livy-