Promenade à Giverny, réminiscences de printemps
Si je consens volontiers me traîner un blues carabiné d'octobre à novembre quand les jours diminuent et se parent de gris, automne n'spleen interminable qui m'inspire de trop cyniques mélodies, je redeviens une pile électrique sitôt janvier arrivé. La pâleur, le froid et le vent d'hiver ne sauraient avoir d'emprise sur moi, pourvu qu'ils m'emmènent pas à pas vers des saisons plus clémentes. Chaque petite journée du quotidien devient alors le théâtre d'éclaircies évidentes, de sorties à n'en plus finir, de projets presque sous le soleil et d'une furieuse envie d'aller de l'avant. Tout en prenant son temps. C'est cet optimisme précisément, suffisamment rare pour être mentionné, qui m'a soufflé l'idée de ce billet. Un billet qui se perd dans quelques senteurs printanières et autres errances fleuries, encore lointaines je vous l'accorde, mais suffisamment présentes à l'esprit pour se voir matérialisé ici. Un billet propice à la flânerie. Un billet d'avril qui s'empare de février abasourdi quand raccourcissent les nuits. De la sorte, laissez-moi aujourd'hui vous mener tout droit vers un paradis de verdure impressionniste et intemporel; joli havre de paix à l'élégance surannée où mes souvenirs m'ont déjà guidée mille fois, j'ai nommé Giverny.
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Giverny pourtant, bien plus qu'une simple maison de campagne, s'étend vers l'histoire d'un coup de cœur, d'une intuition, d'une inspiration. L'histoire d'un lieu à créer aussi, et d'un jardin à inventer. L'histoire d'une aura innée. Et surtout l'histoire de Claude Monet. Passionné de jardinage et de botanique, le peintre impressionniste y a vécu pas moins d'une quarantaine d'années, puisant dans son halo de verdure, et par le biais de promenades interminables, quelques un de ses plus beaux tableaux, dont sa fameuse série des Nymphéas qui orne désormais les murs du Musée de l'Orangerie. Au fil des années, le jardin s'est vu transformé et étoffé par ses soins, générant doucement ce paradis de fleurs, de plantes et d'eau tel qu'on le connaît aujourd'hui. Haut en couleurs dans ses variations de saison, il accueille chaque année encore le visiteur curieux ou le touriste nostalgique pour une balade hors du temps. Quant à son entretien, c'est un savoir-faire tout particulier qui se murmure d'oreille de jardinier en oreille de jardinier...
La façon dont le jardin est paysagé est assez remarquable en ce sens où elle nous offre un cadre à la fois champêtre et organisé. Au bout de chaque allée, une surprise; et dans le moindre recoin, une sensation de dépaysement. On y croisera volontiers une multitude de rosiers comme une forêt de bambous, paradoxe charmant dont l'étrangeté subjugue. L'esprit cottage succède à une tendance japanisante fortement marquée. Les deux ponts symboliques des Nymphéas notamment, abritent le bassin artificiel que soulignent les nénuphars. Changeant de couleur au fil du temps, ils s'imposent naturellement, bucoliques, de par leur aspect bombé et leur allure végétale à mi-chemin entre la zénitude du jardin japonais et notre flore européenne plus répandue. Les plantes, en nombre conséquent, varient selon les saisons et leur floraison reste un univers rempli de mystère dont la science inexacte rend chaque année unique. Ainsi, mes illustrations prises ici en juin auraient été bien différentes en début d'automne. Tous ces bouleversements pourtant, sont loin d'être le simple fruit du hasard et il est difficile d'imaginer le fief de Claude Monet avant qu'il ne le loue, puis l'achète. À l'époque, le peintre a en effet entrepris un immense travail sur plusieurs années, réaménageant le verger campagnard dans son intégralité pour le transformer, le façonner selon ses goûts propres. Ici ou là, les arbres ont poussé et la nature a lentement repris ses droits depuis, permettant un mélange habile entre la verdure sauvage et la rêverie en paysage.
Comment ne pas laisser vagabonder son imaginaire dans de pareilles contrées ? Petite merveille d'onirisme, univers enchanteur ou cadre romanesque -au choix, la poésie de Giverny repose également sur le fleuve l'Epte dont l'un des bras parcourt le jardin, et qui aura bien certainement inspiré les flâneries de Monet au bord de l'eau et sur ses toiles. Au-delà, le lieu est aussi et surtout l'antre d'un peintre mature, jadis voyageur effréné, aspirant désormais à une certaine sérénité de vie. Sa série des Nymphéas, ouvrage colossal de plus de deux cents peintures dont certaines immenses et remaniées à foison, a été élaborée en majeure partie alors que l'artiste faisait face à une cataracte importante le rendant presque aveugle. Il peignait ainsi des couleurs, des formes, des états d'âme. Il peignait un matin d'orage ou un après-midi chatoyant. Il peignait une vie parallèle dont il puisait la force et l'intensité dans son jardin magique.
La maison de Giverny, quant à elle, retrace des moments en famille, des bonheurs simples, un quotidien heureux. On pourrait sans hésiter imaginer un enfant jouer devant le perron. Il s'agit d'un habitat bourgeois, tout en longueur car agrandi au fil des ans, et dont les couleurs vives (une façade rose et verte) détonnent car plutôt originales et fantasques pour l'époque. À l'intérieur, les photographies sont interdites mais l'on peut y découvrir un cadre semblable à celui dans lequel vivait Monet et ses proches, des illustrations d'époque venant approuver cette vérité. En ce sens, le lieu est un véritable musée, dont le souci de l'identique se pose au détail près et où la plupart des objets ont appartenu à son très célèbre propriétaire. Le visiteur parcourt ainsi au rez-de chaussée une enfilade de pièces à vivre, toutes meublées d'une fort agréable manière, et rehaussées des tableaux du peintre. Tout comme dans le jardin, la fascination de Monet pour le Japon se fait sentir puisque la salle à manger offre le spectacle d'une magnifique collection d'estampes japonaises parmi lesquelles nous citerons évidemment Hokusai. Le premier étage présente, de son côté, l'intimité de ses appartements privés, alliant chambres, cabinets de toilette et salons de détente. Autant de décors touchants qui mêlent une franche convivialité à une vie aisée, chaleur humaine bien présente encore, afin de mieux tromper les générations et d'user sans plus attendre de la machine à remonter le temps. Et si l'atelier du peintre est une jolie serre/grange adjacente, c'est qu'il parvenait sans soucis à doser vie personnelle et professionnelle.
1926: Monet s'éteint à l'âge de 86 ans. Son amour pour Giverny lui vaudra d'être enterré dans le petit cimetière du village. Une anecdote murmure même que le noir n'était pas une teinte bienvenue lors de son deuil, Clémenceau insistant pour mettre sur la tombe du peintre impressionniste de "vraies" couleurs, plus symboliques de son ouvrage. Près d'un siècle après sa mort, jardin et maison demeurés intacts se visitent encore et inspirent d'aventureuses rêveries. La mémoire de Monet est ainsi préservée et traverse les époques avec autant de grâce que l'ampleur du travail artistique impressionniste/impressionnant qu'il a laissé derrière lui...
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Si nos bribes de printemps s'arrêtent momentanément ici,
J'espère toutefois que l'évasion en art et en couleurs vous aura réussi;
Et que par une journée évidemment moins venteuse qu'aujourd'hui,
Vos pas vous guideront tout droit vers la végétation imagée de Giverny.
-Livy-
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