Je suis Charlie
Petite, pendant que les adultes étaient encore à table, je traînais toujours du côté de la bibliothèque et piochais dans les livres du fond, ceux qui n'étaient pas faits pour moi et que je comprendrais "quand je serais grande". Parmi eux, un Grand Duduche me faisait sacrément de l'œil avec ses aventures dessinées. Alors je l'ai lu, puis relu, puis re-relu. Et même si, en effet, je ne comprenais pas toujours tout, je souriais pas mal du haut de mes huit ans. Il faut dire que Cabu, son papa au visage jovial et aux cheveux hirsutes, m'avait tout l'air d'un type bien chouette...
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Hier, peu après midi, un ami au téléphone: "Tu sais, ils ont tué Charlie..."
Mais Charlie qui ? Charlie quoi ? Je n'ai pas compris au début, pas percuté qu'il s'agissait du magasine satirique Charlie Hebdo. J'ai juste entendu le verbe "tuer". Force est de reconnaître qu'une nuit blanche et quelques heures plus tard, je ne réalise toujours pas. Hélas, on ne peut pas rire de tout avec tout le monde. Hélas, le terrorisme devient au fil des ans de plus en plus oppressant. Hélas, le nombre d'illuminés psychopathes qui agissent sous couvert d'une religion qu'ils saccagent sans vergogne accroît terriblement. Mais depuis quand assiste t-on en France à des actes dont la barbarie nous plongerait presque à nouveau en plein Moyen-Âge ?
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Les réseaux sociaux et ma télé (exceptionnellement allumée) m'ont rapidement mis au parfum sur le cours des événements. Une tuerie dans les locaux du journal, déjà incendiés en 2011. Des blessés graves. Et puis des meurtres, douze en tout. Enfin "meurtres", ce serait trop doux. Tout comme "assassinats". La vérité est qu'hier, en pleine journée et en plein centre de la capitale, les parisiens ont assisté à une véritable mise à mort. L'exécution gratuite de belles personnes: Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré et de nombreux autres encore, y compris les anonymes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Hier, nous avons perdu des gens qui nous faisaient rire, qui apportaient à notre quotidien ce piment qui lui manque parfois. Nous avons perdu des innocents tués de sang-froid en pleine rue (il n'est d'ailleurs pas nécessaire de relayer les vidéos sur Internet. NON au voyeurisme malsain). Nous avons perdu, en 2015, la liberté d'expression. Dois-je encore préciser pourquoi je suis choquée, indignée, hors de moi ?
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Triste nouvelle, il semblerait que dessiner tue ces jours-ci. Il est vrai, la caricature est un exercice si nouveau et inhabituel, autant en être outré. Si j'en crois même quelques personnes mal intentionnées sur les réseaux, Charb et ses compagnons "l'avaient bien cherché." Des propos qui laissent perplexes. Quant aux responsables de la tuerie... Voilà donc où en sont ces "gens". Rectification: ces monstres. Ils s'attaquent à des institutions pour se faire entendre. Ils prônent la violence, ils tuent. Ils se réfugient derrière une pseudo-croyance parce qu'il faut bien un prétexte pour justifier leurs actes immondes et laissent planer sur le monde Musulman les pires amalgames. Ils ne sont que haine et ignorance crasse; de l'obscurantisme sous sa forme la plus abjecte. Ils répandent leur terrorisme en libre accès. Et ils pensent pouvoir gagner le combat alors qu'ils s'en sont trompés.
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Mais ne leur en déplaise, ce que j'ai constaté hier, c'est une France plus unie que jamais. Place de la République, les convictions politiques et les religions ont momentanément sauté pour laisser place à ce message tout simple: "Je suis Charlie" qui s'est propagé partout sur la toile, chez des personnes de tous horizons. Il y avait du soutien, de l'empathie, de l'amour. Mieux encore, ce slogan "Not afraid". Et des rassemblements partout dans le monde, des milliers de bougies. "Je préfère mourir debout que vivre à genoux" affirmait Charb. Et la France de rendre hommage à ses paroles, debout face à la menace des fanatiques.
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Mercredi 7 janvier 2015, en après-midi, je n'ai pas réussi à travailler. Pas la moindre phrase, pas le moindre article. Plutôt ironique pour une rédactrice que de perdre tous ses mots quand c'est la liberté d'expression qui est en jeu. Mais l'espace de quelques instants, ils m'ont manqués, tout autant que les notes sur ma guitare. Il n'y en avait plus car aucun n'était assez fort pour décrire l'horreur. Et puis je me suis ressaisie.
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La liberté d'expression ? Vivante. Charlie Hebdo ? Vivant. C'est à nous d'y croire suffisamment pour défendre nos convictions; de demeurer soudés afin de livrer une bataille qui en vaut la peine. Le fait est que l'on ne peut nous enlever une chose aussi élémentaire que la liberté. Je ne veux pas d'un avenir sur fond de guerre civile, d'une peur permanente, d'ignares qui me réduiraient au silence. Je ne veux pas que ces artistes que j'admirais soient décédés pour rien. Je veux être libre et fière.
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Sur les réseaux sociaux, la déferlante de messages/statuts/tweets touchants et engagés n'en finit plus. Parfois, en cette journée de deuil national, l'humour s'en mêle un peu. Timidement. À cela, je dis un grand oui. Oui l'humour est le bienvenu. Même l'humour noir. Même aujourd'hui. Il m'est avis que nos dessinateurs perdus l'auraient souhaité aussi.
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Je suis Charlie.
Nous sommes tous Charlie.
-Livy-