Une visite aux chandelles à Vaux-le-Vicomte
Comme j'aime partager mon goût pour les sorties inédites, et accessoirement dotées d'un charme fou, je ne pouvais passer à côté de mon épopée de samedi dernier au château de Vaux-le-Vicomte. Un moment comme je les aime, du genre à suspendre le temps, et au cours duquel j'ai pu voir 36 chandelles... ou un peu plus. En effet, j'ai assisté aux nocturnes du lieu, dévoilant l'Histoire au gré des pièces, des musées et des jardins, le tout décoré de milliers de bougies. La balade, subtil mélange entre le rêve et le solennel, n'en pouvait qu'être réussie. Jusqu'à ne plus pouvoir y tenir sans poser quelques mots ici.
De Vaux-le-Vicomte, il faut dire, je ne connaissais pas grand chose de plus que ce que la page Wikipédia voulait bien en dévoiler. Mais mon amour pour les châteaux et leurs anecdotes cachées (la faute à Stéphane Bern) attendait le bon moment pour s'y rendre. Je n'ai donc pas manqué de tressauter en voyant l'intitulé "visite aux chandelles". Il n'était pas sans me remémorer le souvenir d'une ancienne déambulation en sons et lumières en plein Chambord. Les pièces y étaient alors en libre accès, plongées dans l'obscurité afin que le public y évolue, s'éclairant à la lanterne. Mais qu'en serait-il de ma future visite ? Désireuse de profiter de l'été indien (ou de l'automne clément, c'est selon) au fil des jardins à la française, tout en prenant la peine d'assouvir ma curiosité, vous pensez si j'ai vite réservé !
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La description qui donne des idées ? "Revivez une nuit de fête de 1661". Et les premières impressions de s'apparenter comme il se doit à la vie de château: une nuit noire sur une architecture noble, éclairée seulement par des lueurs sautillantes. Il n'aura fallu pas moins de 2000 chandelles (et plusieurs heures de travail pour le personnel) afin de tout illuminer, des bords de chaque fenêtre aux allées principales, des moindres recoins des jardins aux halos de verdure. En deux mots: impressionnant et féerique.
Une première découverte très originale à vrai dire, avec Vaux-le-Vicomte brillant de mille feux comme si le château sortait de la terre (et en imposait grave, oui aussi). De fait, j'ai deviné chaque détail, chaque contour de l'édifice dans une sorte de flou artistique, les chandelles faisant office de danse taquine qui offrait au spectateur une vision différente selon le sens du vent.
Mais contrairement à Chambord, la visite de l'intérieur n'allait pas me mener dans des pièces sombres: c'était en réalité une visite plutôt conventionnelle (comprendre: avec lumière électrique) qui m'a de suite permis de me familiariser avec le lieu, le connaître mieux, et y évoluer comme dans un musée.
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Un peu d'histoire...
Construit par l'architecte Louis Le Vau au XVII ème siècle pour Nicolas Fouquet, le surintendant des finances du roi Louis XIV, Vaux-le-Vicomte fut entièrement décoré par l'artiste peintre Charles le Brun (le château, aujourd'hui encore, jouit de beaucoup d'ornements). Considéré comme un chef-d'œuvre de l'architecture classique de l'époque, il a servi de modèle pour son grand frère Versailles, jusqu'à la conception de ses jardins par Le Nôtre, personnage sur lequel nous ne manquerons pas de revenir. Fouquet cependant, n'aura pas trouvé sérénité en cette demeure: emprisonné à vie, le roi lui confisquera Vaux-le-Vicomte, le plaçant sous scellés et le vidant de son mobilier et de ses richesses. Il se murmure que jaloux, il n'aurait pas supporté le faste de l'endroit, plus beau alors que sa propriété.
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La visite du château
Bon nombre d'invités illustres s'y sont succédés, dont plusieurs rois. Et chacun (je pense notamment à Jean de la Fontaine) a laissé son empreinte dans une pièce, une chambre ou un cabinet... C'est précisément ce qui m'a plu dans le cadre de cette visite. Vaux-le-Vicomte, loin d'être dépouillé de tout apparat, vit toujours pleinement. Évoluant dans l'enfilade des pièces, j'ai facilement pu visualiser une correspondance dans un bureau privé ou l'heure du bain dans une curieuse baignoire d'époque ! Mieux encore, la salle à manger puis les cuisines en sous-sol offraient des reconstitutions, comme si le public était lui aussi invité à mener l'espace d'une soirée, le train de vie d'un tel château. Macarons et diffusion vidéo de danses d'époque pour les châtelains, gibier prêt à être cuisiné et petits légumes pour les domestiques. De quoi s'y projeter aisément, au choix.
Vaux-le-Vicomte ne m'aurait pas autant séduite toutefois sans la visite de sa bibliothèque. Je n'en ai hélas pas de photos, l'usage du flash étant interdit. Mais imaginez-vous plutôt une pièce immense, très sombre, et dont les murs seraient recouverts de livres anciens. De part et d'autre, des escaliers en bois dont on aurait bien deviné le craquement sous les pas. Et enfin un magnifique plafond (décoré par Charles le Brun, toujours lui).
Il est à préciser que les plafonds à voussures qui caractérisent le château sont particulièrement soignés. Il s'agit de caissons peints qui racontent tous une histoire, avec la scène principale exposée de façon centrale et souvent renfoncée d'avantage.
Le plus agréable à Vaux-le-Vicomte est la capacité du lieu à flirter entre le royal et le plus abordable. Certaines pièces m'ont certes paru absolument majestueuses mais j'ai adoré plus que tout me faufiler dans les chambres et cabinets privés par des couloirs assez étroits. Non-accessibles au public, on pouvait néanmoins admirer de loin les appartements d'invités et quelques escaliers fuyants, presque dérobés. Nul doute que cette intimité ait été renforcée par la nuit déjà tombée. À regarder dehors, j'ai vu un parc entier illuminé, vaciller élégamment selon l'humeur de ses mille et une chandelles...
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Joli retour sur les expos temporaires
La soirée thématique se voulant résolument complète, m'a donné accès aux deux expositions temporaires qu'abrite le château en ce moment.
Hôpital auxiliaire numéro 23 revient sur la Première Guerre Mondiale et rend hommage avec beaucoup de tact à ses défunts et blessés sacrifiés pour la France, mais aussi à son personnel et globalement, à tous ceux qui se sont dévoués corps et âme à la création d'hôpitaux auxiliaires.
Vaux-le-Vicomte, qui accueillait un hôpital dans ses communs-est (je vous vois déjà penser à Downton Abbey), permet aujourd'hui de perpétuer le devoir de mémoire par le biais de documents d'époque, registres et photographies. J'ai ainsi pu y faire la connaissance d'infirmières dévouées et volontaires, que rien ne semblait abattre et qui ont par la suite été décorées pour leur bravoure. La propriétaire du lieu, Germaine Sommier, s'est ainsi vue érigée, à juste titre, comme une femme d'honneur (décorée de la Croix de Guerre en 1918). Plus loin, les reconstitutions de blessés et de scènes quotidiennes à l'hôpital n'ont pas manqué de favoriser une vraie prise de conscience. Cette exposition, simple et rapide, a surtout souhaité raconter l'Histoire d'un point de vue anecdotique mais bien réel, afin de la rendre plus saisissante aux yeux du public. Et c'est loin du côté académique qu'elle a trouvé la force d'aborder un sujet grave et important, sans tomber dans le pathos.
Un moment à part, à voir jusqu'au 11 novembre 2014 au 1er étage du château.
Dans les sous-sols, et juste avant d'accéder aux jardins (une certaine logique), l'exposition André Le Nôtre à Vaux-le-Vicomte, l'œuvre fondatrice du jardin à la française nous emmène, au gré de ses murs (presque) végétaux, vers un art curieux et attrayant: celui de jardinier-paysagiste. Force est de constater que si l'on est souvent familier des jardins à la française, on l'est moins de son créateur. J'ai alors découvert André Le Nôtre, alias "le bonhomme Le Nôtre" sous un nouvel angle: l'homme, son caractère décidé et ses motivations. Si on le croyait en effet doté d'une personnalité plutôt facile, il s'avère en réalité que le jardinier des rois était plus profond et plus sombre qu'il n'y paraissait. Cette courte rétrospective met un point d'honneur à rétablir la vérité et nous fait découvrir l'illustre à travers son travail. Ce dernier, auquel il a consacré sa vie (on compte la réalisation des châteaux de Versailles, Chantilly, Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye et Sceaux parmi ses plus grandes réussites) est mis en valeur par une maquette audiovisuelle expliquant la façon dont Vaux-le-Vicomte s'est retrouvé progressivement paysagé sur pas loin de 500 hectares de terrain. Un véritable jeu de mise en abîme, de géométrie, de relief et d'effets visuels à couper le souffle qui ont conféré à l'artiste une notoriété éternelle. Et à nous de participer à ce spectacle interactif décidément fascinant.
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Flânerie dans les jardins
Les jardins n'ayant plus de secrets pour moi après l'exposition (ou presque), il fallait bien que j'y flâne un brin. Dire cependant que j'en maîtrise aujourd'hui toutes les subtilités serait bien présomptueux puisque, bougies ou pas, il faisait tout de même sacrément nuit. Or inutile de vous préciser que la chandelle est au romantisme ce que l'obscurité est à ma maladresse... Ici ou là, j'ai malgré tout pu distinguer labyrinthes, ifs et fontaines, mais sachant Vaux-le-Vicomte réputé pour ses jeux d'eau, il serait de bon ton que j'y retourne une prochaine fois en journée.
Le bonus que tous attendaient à 22h50 était bien sur le feu d'artifice. Il fallait entendre les enfants, qui n'avaient rien de très Renaissance, réclamer après le feu d'artifesse ! J'aurais pu simplement m'arrêter, comme eux, sur les grandes marches surplombant les jardins pour l'observer mais j'ai préféré errer dans les allées à la française afin de me fabriquer mon propre fairy tale. Ce qui n'était qu'une fantaisie du moment s'est avéré en fait une excellente idée. Je me trouvais au pied d'un bassin quand les premières fusées ont jailli dans le ciel et ai pu savourer l'intégralité du show en symétrie, les lueurs d'or et d'argent se reflétant dans l'eau jusqu'au bouquet final. Royal.
Ambiance oblige, j'en ai même profité pour dénicher un spot un peu à l'écart et savourer une coupette de champagne dans un transat. Il ne manquait plus qu'un plaid polaire et j'y aurais bien passé ma nuit; on s'habitue décidément trop vite aux bonnes choses.
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Découverte du Musée des Équipages
Regagnant la boutique-souvenirs (et donc la fin des festivités), une dernière halte s'est imposée d'elle-même au musée des Équipages. Une aubaine pour tous les amateurs d'attelages anciens ! Niché dans les grandes écuries, ce musée propose à ses visiteurs des voitures d'un autre temps et permet d'appréhender les berlines et les carrosses, ainsi que leurs montures. Évoluant sur diverses thématiques (la chasse, les univers urbains et ruraux...), il incite notre curiosité à s'intéresser tant à l'aspect matériel qu'au folklore de l'aristocratie. Et c'est dans une dynamique de reconstitution qu'il met en place des scénettes du quotidien avec chevaux et personnages.
Vagabondant ici et là entre les équipages pour chevaux et l'atelier du forgeron, j'ai pu observer tour à tour un départ en vacances dans une calèche familiale avec suspensions, des "coupés" pour les grandes occasions, les fameuses coureuses connues pour leur rapidité ou encore quelques diligences royales. Mais comme à mon habitude, l'insolite a d'avantage retenu mon attention. Jusqu'à samedi dernier encore, j'ignorais que les jeunes enfants possédaient parfois de minis attelages tirés par des poneys. Et d'avantage encore qu'il existait des voitures spécialement conçues pour transporter le gibier, présentées sous la forme d'un drôle de panier en osier.
Le lieu m'a ainsi laissée sur une touche empreinte de voyage, de chasse à courre et de traditions ancestrales: un saut dans le temps fort divertissant et bien amené. Et une note de conclusion parfaite à la soirée, mes souvenirs se formant déjà autour d'un château éclairé et d'un musée partagé entre romanesque et réalité.
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Si du romantisme à la mièvrerie, il n'y a qu'un pas menu, il n'a en aucun cas été franchi. La visite aux chandelles de Vaux-le-Vicomte est plutôt cet agréable tour de magie qui vous embarque en privilégié dans quelques bribes d'histoire, de légèreté et de folie. On trouve toujours l'ambiance plus inquiétante et mystérieuse, la nuit... Je dis pari réussi ! La déambulation nocturne dans les jardins m'aura d'avantage fait frémir que le Manoir de Paris. Et j'aurais bien valsé encore et encore dans ce château jusqu'aux douze coups de minuit; à croire que, telle Emma Bovary, je me suis trop nourrie de littérature et de poésie. Mais l'automne arrive et les visites à la lueur des bougies prennent fin ce samedi. Par chance, on raconte que les animations et spectacles de Noël donnés en ces lieux pourraient bien valoir un nouveau détour par Maincy. Alors si l'idée vous tente autant que moi, vous trouverez toutes les infos pratiques [ici].
-Livy-