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Livy Etoile
31 mai 2014

Du Petit au Grand Palais, des expositions de saison

Du Petit au Grand Palais, il n'y a qu'une avenue à franchir, noble d'apparence, et qui mène tout droit au pont Alexandre-III. Elle est vaste, incessamment peuplée, et sous quelques arbres bienveillants, les bus de touristes y cavalent autant que l'autochtone confiant. Depuis longtemps déjà, le bitume a remplacé la terre battue et les voitures vrombissantes couvrent l'ancien bruit des calèches. Cette allée un peu hors du temps, c'est l'onirisme et l'art, le Paris intemporel et l'Histoire. Les deux monuments qu'elle abrite de part et d'autre, ces "palais" sublimes, sont autant de lieux du passé, du présent et du futur qui usent de leur architecture et de leurs thématiques variées pour mieux nous intriguer; un véritable paradis hétéroclite qui ne saurait demeuré ignoré. Tour à tour alors, j'ai traversé l'avenue. Sans heurts. Au jeu des expositions, je me suis précipitée et ai opté pour un choix curieux et saisissant: deux moments artistiques on ne peut plus différents, et une valeur ajoutée indéniable pour chacun. Entre un Paris d'antan et des photographies provoc' en noir et blanc, impossible de choisir ou de comparer il est vrai, mais au contraire tout à découvrir dans l'émerveillement de la libre pensée. De la sorte, il m'a semblé de bon ton de faire le point sur ces deux expositions si éloignées l'une de l'autre, mais joliment retenues captives de leurs palais respectifs pour quelques mois. Ces expositions-phare qui osent le rétro-chic et l'image-choc, ne cessant de faire couler l'encre à bon escient et pour lesquelles désormais, l'embarquement est immédiat...

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Paris 1900, La Ville Spectacle au Petit Palais

Paris 1900, la ville spectacle

Paris 1900 est cet évènement radieux et imprévisible qui se visite comme à la Belle Époque: en flânant. L'immersion totale est garantie et s'il est question d'une période révolue, cette dernière conserve toutefois bien soigneusement ses reliques surannées dans chaque recoin de la ville... et pour l'occasion, du Petit Palais. Plongé d'emblée dans l'univers parisien de la Belle Époque, le spectateur se voit effectuer un parcours très complet, traversant tant les salles que les thématiques diversifiées. Et pour cause ! Riche de plans, gravures, tableaux, affiches, sculptures, costumes et objets en tout genre, l'exposition est un joyeux pêle-mêle du Paris tel que j'aime me l'imaginer, la culture à fleur de peau et l'enthousiasme non feint généré par de nouvelles prouesses techniques. Autant vous avertir alors que si, comme moi, vous vous attendiez surtout à une agréable fresque sur l'Exposition Universelle, la Tour Eiffel et l'entrée fracassante de notre capitale française dans le XXe siècle (ce qui en soit déjà eût été très appréciable), l'histoire en racontera bien d'avantage. 

Naturellement, l'Exposition Universelle en question est passée au crible de suite et sa modernité fait mouche. Les amateurs du genre seront ravis car les plans d'architectes des différents pavillons élevés pour l'occasion (et aussi les projets avortés) y côtoient affiches et réclames à tonalité rétro. Un peu plus loin, des maquettes d'anciens wagons de métropolitain rivalisent avec les fêtes foraines et leurs attractions d'époque, type montagnes russes, constructions atypiques à faire pâlir Space Mountain. La visite continue, non sans quelques détails charmants concernant des projections de cinéma en plein air ou des soirées dansantes... Autant de distractions dotées d'une saveur old-school appuyée. Ici ou là, c'est l'image d'un Paris prospère yop-la-boum qui est mise en avant, générant à la fois l'élégance, l'effervescence intellectuelle et la puissance du renouveau. De quoi tendre à une renommée internationale et nous gratifier d'une fort belle étiquette, culturelle et raffinée, qui aujourd'hui encore nous colle à la peau.

photo 3

Pourtant, s'il a brillé de mille feux avec l'Exposition Universelle, proposant un spectacle sans fin et une consommation des plaisirs toute nouvelle encore, il serait dommage de ne cantonner le Paris 1900 qu'à cet évènement. Au-delà, c'est l'Art-Nouveau qui est à l'honneur, et il se matérialise par des noms bien connus tels Gallé ou Lalique. L'exposition nous entraîne vers de magnifiques objets, vases, bijoux, et un mobilier d'époque dont j'aurais aisément chipé le si joli paravent pour mon humble appartement. Il semblerait en effet que le rayonnement culturel du début XXe se soit étendu aux galeries d'art et à l'industrie du luxe, prouvant une fois de plus la véracité des ces heures heureuses et fastes. De ce Paris-là, s'est inspiré le nôtre qui, dans toute la splendeur de son actualité, apprécie ce style artistique coloré et complexe, et le conserve bien souvent dans ses salles de spectacle comme dans son métro, à l'instar de son petit frère, l'Art-Déco. Paris 1900 d'ailleurs, est aussi la représentation de mouvements artistiques que l'on maîtrise bien: la visite s'attarde sur des sculptures de Rodin ou Claudel; puis évoque l'impressionnisme (Monet, Renoir, Pissaro...), l'académisme (Gérôme...) ou encore le symbolisme par le biais de toiles de maîtres. Enfin, quelques scènes du quotidien parisien y sont montrées, dans un mélange d'oppulence et de bien-être tout à fait représentatif de l'époque. 

Le Paris du début du XXe siècle n'aurait cependant pas été complet sans l'évocation de la parisienne et de la mode. Au programme, maisons Couture, chic et féminité autour de robes et accessoires qui laissent le rêve complet. Nul doute que ces atours de luxe, ainsi exposés à grands renforts de noeuds, dentelle et mousseline légère en émerveilleront plus d'une; sans compter les coiffes et les souliers. Je retiendrai pour ma part cette citation fort juste d'un chroniqueur de l'époque, habitué aux dames habillées par Jeanne Paquin: "La Parisienne diffère des autres femmes par une élégance pleine de tact, appropriée à chaque circonstance de la vie; ses caractéristiques sont la sobriété, le goût, une distinction innée et ce quelque chose d'indéfinissable que l'on ne trouve que chez elle, mélange d'allure et de modernisme et que nous appelons le chic." De toute évidence, la capitale française ne laissait personne indifférent jusqu'aux tenues qu'elle proposait, et qui avaient le pouvoir suprême de se faire remarquer mais avec discrétion. Une véritable leçon d'élégance sur laquelle prendre exemple car le bon goût, me semble t-il, se révèle assurément intemporel.

photo 5

Paris 1900 se poursuit en festivités: nous y apercevons une ville nocturne et animée, celle des revues et des cabarets. Pour l'occasion, Toulouse-Lautrec qui prête son pinceau à l'affiche de l'exposition, dévoile ses incandescentes danseuses, à vous donner de folles envies de French Cancan. L'univers se teinte de Montmartre, de filles mutines en maisons closes, et de photographies passablement osées pour l'époque. Du Moulin Rouge au Chat Noir, les ruelles de la Butte se ressentiraient presque sous nos pas. Nous y entrevoyons les limites toutefois... Là où la séduction se mêle au show, apparaissent aussi des thématiques plus sombres tels la prostitution, l'alcool ou la drogue. Ce Paris, moins souvent assimilé à l'Exposition Universelle il est vrai, car gouailleur et provocant, pas particulièrement raffiné non plus, n'en demeure pas moins d'un intérêt probant. Son impertinence aura marqué toute une génération d'artistes souvent maudits, grâce auxquels il vit éternellement désormais, véhiculant une image sulfureuse avérée. Quant à la version plus politiquement correcte des divertissements, elle nous mène vers le cirque, le théâtre, le café-concert ou encore l'opéra. Par le biais d'affiches, les spectacles se voient exposés au mur, Sarah Bernhardt en premier plan. C'est un délice vintage pour le visiteur curieux qui ne manquera pas de s'attarder devant le vieux phonographe ou le montage de lumières. Progrès oblige, l'exposition englobe l'esthétique dans le modernisme, prouvant ainsi l'étendue d'un pouvoir aussi imposant qu'inspiré.

Il en résulte un très beau moment culturel, qui ne saurait tolérer l'ennui tant il se diversifie et nous apprendra forcément quelques secrets d'époque. Vous le saviez, vous, que les cabines de "grande roue" de l'Exposition Universelle étaient en fait des wagons de métro ? Les anecdotes y sont légion et l'on se plaît à errer dans cet univers qui n'est plus vraiment nôtre à présent mais nous cajole au gré de ses salles, tel un In Wonderland où il ferait bon vivre. Les pièces exposées sont aussi rares que magnifiques, et leur éclectisme permet à tout un chacun de s'y retrouver. Cette volonté d'un Paris à facettes est d'ailleurs brillante en ce sens qu'elle nous permet d'aborder ce début de siècle avec recul et objectivité, tous domaines confondus. Il n'y pas de parti pris ici, ou de notion du "tout parfait". Non. Ce Paris 1900 se montre à nous en totale transparence, du rêve éveillé à ses failles bien réelles. De la sorte, il n'en est que plus touchant, plus vulnérable aussi lorsque l'on connaît la suite de l'Histoire... Et il n'y avait que le Petit Palais pour lui rendre un si bel hommage, lui qui fut construit pour l'Exposition Universelle de 1900 et règne depuis, dans un soupçon d'exotisme, sur la ville et le temps.

--> Le site de l'exposition <--

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Robert Mapplethorpe au Grand Palais

Mapplethorpe

Si l'exposition du Grand Palais consacrée à Robert Mapplethorpe est plutôt courte, elle n'en demeure pas moins emplie d'images saisissantes qui sauront reconstruire petit à petit, par le biais de la photographie, l'état d'esprit de l'artiste et ses différentes périodes de vie. Il faut dire qu'elle se révèle rapidement hypnotisante, à commencer par l'affiche elle-même dont le regard impressionne. Robert Mapplethorpe était donc cet homme... J'avoue qu'avant ma visite, je n'en connaissais que le nom et quelques clichés de-ci delà qui m'avaient déjà interpellée de par leur puissance (l'exposition Masculin Masculin du musée d'Orsay en a d'ailleurs proposé quelques uns). Il me semble cependant que, hors contexte, le ressenti n'est jamais exactement le même. Et comme par enchantement, il s'est naturellement intensifié ici. 

Robert Mapplethorpe, donc. Artiste de génie, essentiellement connu pour sa grande maîtrise de la photographie en noir et blanc. La présentation pourrait vous sembler succincte et pourtant elle résume tout. Nous découvrons l'homme au fil des clichés et déjà on l'imagine, tel un sculpteur, travailler la matière et donner vie. Fort d'un travail de perfectionniste, il parvient à apporter à ses oeuvres un relief gorgé d'harmonie. Il ne s'agit plus alors d'un simple cliché mais d'un ovni dont la mise en valeur révèle une exquise sensualité. En effet, "sensualité" est le mot juste car c'est bien du corps humain dont il est question. "J'ai une admiration sans limite pour le corps nu. Je le vénère...". Tour à tour, il s'intéresse aux courbes, à la musculature. Ces nus, souvent masculins, sont d'une beauté fascinante qui tend à un style recherché. Au-delà du simple modèle, nous observons surtout des postures surprenantes, souvent exagérées pour d'avantage d'allure. Cette série empreinte de virilité est d'ailleurs d'une finesse à couper le souffle. La photographie, pourtant assez explicite, engendre nulle vulgarité mais au contraire, fait une proposition nouvelle. Elle se veut séductrice et esthétique à l'extrême. Robert Mapplethorpe surprend, intrigue, perturbe: il aime être là où on ne l'attend pas. Et partant d'une base classique, il peaufine son noir et blanc de façon à le marquer à tout jamais de son insolente personnalité. 

photo 3 (1)


Afin de renforcer un évident côté atypique, Robert Mapplethorpe expose aussi la nudité de sa muse, Lisa Lyon, une championne de bodybuiding dont le corps dessiné, sculpté même, convient parfaitement au travail de l'artiste: "Elle me rappelle les modèles de Michel-Ange qui a sculpté des femmes musclées". Puis, filant progressivement vers des nus d'avantage sexuels, il compare le corps humain aux fleurs: deux thématiques récurrentes au sein de son oeuvre. Il perçoit en elles une beauté pure et dénuée d'apparat. La rétrospective y rend de fait un bel hommage, présentant des clichés floraux d'une beauté palpable; douce et brutale à la fois. En effet, la fleur, telle que nous la montre l'artiste, est bien synonyme d'un certain érotisme qui prend forme et s'épanouit.
Dans un autre genre, Robert Mapplethorpe affectionne également les self-portraits. Passant outre la pudeur, il se dévoile sans concession tout du long de l'exposition. Ses poses variées accorderont tour à tour du crédit à sa jeunesse, son talent, sa sexualité ou encore son goût de la provocation. Mais toujours dans ses clichés, persiste un détail qui subjugue jusqu'à les transcender.

C'est d'ailleurs le cas pour de nombreux de portraits dévoilés ici, quand l'artiste nous évoque son attachement au visage des personnes. Son Wall of Fame, magistral, est incontestablement l'un des temps forts de l'exposition. Sur tout un pan de mur, il révèle un bon nombre de personnalités cultes des années 80, de Iggy Pop à Keith Haring (je vous le concède, je cite mes préférés), avec Andy Warhol en position centrale. Ces photographies, loin d'être de simples captures de célébrités, possèdent un caractère somme toute très personnel, comme si l'artiste avait saisi ce qu'il y avait au fond de chaque être, juste avant de l'immortaliser. Il a également fort bien réussi cette besogne avec sa compagne et amie, la chanteuse Patti Smith, dont il est l'auteur de plusieurs pochettes d'album. Sous son objectif, cette dernière rayonne dans un naturel désarmant. Ce doit être cela au fond, qui fait toute la différence: Robert Mapplethorpe ne photographie pas seulement l'apparence mais aussi le tempérament. Il embellit à peine la réalité à mesure qu'il la rend assurément plus convaincante, à grands renforts de détails. De la sorte, la série sur Patti possède en son sein cette fraîcheur rock n'roll qui ne pouvait que s'accorder à merveille avec la musicienne joliment débridée.

photo 4

La dernière partie de l'exposition enfin est forcément plus sulfureuse puisqu'interdite aux moins de 18 ans. Toutefois, passer outre et apposer une censure aurait été une offense au travail de l'artiste puisque la sexualité, et plus particulièrement une tendance sado-masochiste ancrée, ont fait partie intégrante de son oeuvre polémique. "Le sexe est magique. Si vous le canalisez bien, il y a plus d'énergie dans le sexe que dans l'art." Nous y découvrons ainsi des photographies plus brutales où le fétichisme n'ôte en rien, cependant, cette recherche d'esthétisque omniprésente et le noir et blanc stylisé qui le caractérise. Les clichés sont certes crus, mais ils préservent le relief évoqué plus haut, dans l'érotisme bien plus doux de quelques nus. On y perçoit également les années 70 dans toute la splendeur de la révolution sexuelle. Ce sera d'ailleurs pour Robert Mapplethorpe l'occasion d'aborder l'homosexualité, thème récurrent de ses photographies comme de sa vie personnelle. 

Il aura donc fallu quelques deux cents photographies pour évoquer, dans le cadre de cette rétrospective, l'artiste pluriel qu'était Robert Mapplethorpe. Si certains pourraient qualifier son oeuvre de "particulière", j'oserais hasarder que c'est précisément cette particularité qui apporte cohérence et cachet à l'exposition. Déjà passionnée par la photographie en noir et blanc, je me suis surprise à avoir un véritable coup de coeur et, au fil des clichés, passer par toute une palette d'émotions. Le travail de l'artiste révèle tant une tourmente qu'une curiosité sans cesse inassouvie, et ses aspirations d'éternel insatisfait sont un bienfait pour nous autres spectateurs: en effet, le résultat fini est étoffé avec un souci du détail que l'on retrouve le plus souvent dans d'autres arts, comme la peinture ou la sculpture. Alors, à mille lieues des photographies lisses et sans saveurs, Mapplethorpe, parti trop tôt, nous livre une sensibilité exceptionnelle entièrement mise au service de sa passion. Un moment à ne pas manquer. 

--> Le site de l'exposition <--


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Sitôt ce billet achevé, il se pourrait bien que le destin (ou mon calendrier) m'ait donné d'autres expositions à vous conter... De folles geekeries à un retour en Antiquité (Fichtre ! Encore une initiative du Grand Palais), en passant par des visites de train vintage et quelques évasions tatouées, voici déjà de quoi alimenter tout un été. Vous aurez sans doute deviné un brin mon programme futur ou désormais achevé et je me ferai un plaisir d'en partager ici les impressions comme les secrets. Mais puisque le week-end est arrivé, place à la musique désormais. Sous l'aura bienveillante du festival We Love Greeen à Bagatelle, et parce que la culture gagne à être savourée en totale pluralité, je m'en vais retrouver mon âme de festivalière bio et assumée le temps de deux petites journées. D'ici là mes ouailles, j'envoie à votre entendement une pluie de licornes pailletées. Le tout en noir et blanc, et dans un Paris suranné. 

-Livy-

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