Astérix à la BnF, par Toutatis !
Les fêtes de fin d'année, leur farniente, leurs moments fériés et leurs éventuels congés... En plus d'être l'occasion de s'offrir un cheminement gastronomique charmant, quelques nuits blanches et un taux d'alcoolémie relatif (j'ai été très très sage cette année, promis), elles sont aussi et surtout un prétexte idéal aux sorties multiples et variées. C'est dire si je me suis régalée ! Une valse virevoltante de petits bonheurs d'hiver capturés, qui vient apporter au sein de notre quotidien ses balades impromptues et une fantaisie somme toute assez magix... Mais aurais-je écrit "magix" ? C'est bien volontaire ma foi. Car si je n'ai pas l'heureux pouvoir de vous conter mes vacances en un seul petit billet, il me fallait toutefois revenir sans plus tarder sur la dernière exposition en date effectuée: Astérix à la BnF. Par Bélénos, ce fut le coup de cœur assuré. Cette exposition haute en couleurs a su me (re)plonger avec bonheur dans l'univers imagé de la bande-dessinée, des jeux de mots et autres traits d'humour bien acérés, la compagnie d'Uderzo et de Goscinny étant toujours un privilège sacré. Et puisque vous avez désormais jusqu'au 26 janvier pour vous abreuver de facéties gauloises, je vous dresse de ce pas le tableau irrésistible d'une Gaule "presque" occupée et de ses quatre camps retranchés. Ils sont fous ces romains, vous le saviez ?
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La rétrospective se présente de façon fort ludique, à la fois intelligente et drôle à explorer. Après un passage introductif bienvenu sur nos deux auteurs (Albert Uderzo et René Goscinny) retraçant en parallèle leur enfance, leurs voyages, puis leurs différents projets professionnels et enfin leur collaboration, -détour instructif et assurément nostalgique (à travers quelques planches et exemplaires à feuilleter) pour les fans assidus du magazine Pilote ou encore de l'ancien Journal de Mickey, c'est au tour de l'Histoire de France d'être revisitée. On y évoque l'occupation romaine, Alésia, les questionnements persistants sur la chute de Vercingétorix... Somme toute la perception des livres scolaires de l'époque, joliment old school. Le visiteur se voit ainsi offrir une façon imagée de redécouvrir nos ancêtres, les "vrais", tout en s'appuyant sur des ouvrages trop oubliés comme Le tour de la France par deux enfants.
Puis enfin, le vif du sujet. Tel un escargot, l'exposition s'enroule puis se déroule, nous conduisant jusqu'en son centre, le petit village gaulois, pour mieux ensuite nous faire voyager. De part et d'autre, on peut admirer les premières planches d'Astérix dans Pilote en 1959, un Jules César fier de sa "Rome sweet Rome" ou quelques romains en manque d'amour qui surgissent des murs illustrés. Un régal.
Quant au petit village gaulois central.... Il retrace en son sein toute la vie paisible et/ou bagarreuse de nos héros, les présentant tour à tour (Astérix, Obélix, Abraracourcix le chef, Agecanonix l'aîné...), eux et leurs caractères bien trempés, par le biais de truculentes anecdotes, de quelques planches, et de notes manuscrites ou dactylographiées à propos des diverses bandes-dessinées. La lecture ainsi omniprésente tout au long de la visite, les éclats de rire jaillissent sans plus tarder. Ils sont à peine masqués par les dialogues issus des dessins animés adaptés, diffusés en boucle pour nous mettre dans l'ambiance d'emblée. Il n'en faudra pas d'avantage pour que je me mette à entonner "Quand l'appétit va, tout va" (Astérix et Cléopâtre) avec une certaine satisfaction.
Des camps retranchés romains de Petitbonum, Aquarium, Babaorum et Laudanum et leurs fameuses formations défensives (en carré ! en tortue !) à l'introduction de la magie grâce à la fameuse potion magique du druide Panoramix, de la musique approximative du barde Assurancetourix à la prise de pouvoir des femmes du village dans La rose et le glaive: les principaux thèmes se voient tous décortiqués avec beaucoup d'humour. Les auteurs n'ont pas manqué de caricaturer les traits de leurs personnages ou d'accentuer décors et codes vestimentaires afin de s'approcher d'une réalité certaine, joviale et ronchon à la fois, fort gauloise assurément. Au-delà de l'aspect humoristique, il y a dans Astérix un véritable travail de fond, qui tend à apporter à la fiction un réalisme intelligent, voué à rendre l'ensemble plus parlant et plus crédible.
D'un point de vue technique d'ailleurs, l'évolution du dessin comme des personnages se ressent nettement au fil des ans et des albums. On y découvre ainsi au fur et à mesure des lignes plus finies et des couleurs mieux définies (Amusant lorsque l'on sait qu'Uderzo était daltonien). Mais surtout, on se rend compte de l'importance progressive des différents membres du village au sein des aventures. Ainsi, le poissonnier Ordralfabétix devra son entrée en matière grâce à une bataille de poissons épique tandis que Cétautomatix, le musculeux forgeron, fusionnera au bout de plusieurs récits seulement avec le petit gaulois nerveux qui tapait sur le barde depuis le début à grand renfort de "Non, tu ne chanteras pas !". L'histoire du chien Idéfix est, quant à elle, bien attendrissante: le compagnon d'Obélix, grand amoureux des arbres, n'était pas supposé devenir un personnage récurrent mais, ayant gagné le cœur de tous les lecteurs jusqu'à voir son nom attribué par certains d'entre eux, il est finalement resté. Et puisque nos ancêtres de fiction étaient de joyeux drilles, il ne sera pas omis de préciser que les fins de chaque épopée s'effectuent la plupart du temps au village à la nuit tombée, un banquet chaleureux à la clé, moultes sangliers et le barde suspendu à un arbre, ligoté et bâillonné. Pour sur, ces gaillards là savaient recevoir de façon raffinée !
(Décors prêtés par le Parc Astérix)
Dès lors, l'exposition part en vadrouille. En effet, je n'y avais que trop peu pensé jusqu'à maintenant mais le petit village d'Armorique qui abrite les aventures d'Astérix et Obélix occupe bel et bien une position stratégique, idéale géographiquement car ouverte sur la mer. Elle offre donc la possibilité de voyages multiples qui facilitent l'invention de périples audacieux à travers le monde. Et à observer en détail la carte des allées et venues de nos gaulois préférés au cours de l'ensemble des albums, j'ai bien cru que le ciel allait me tomber sur la tête tant je n'avais imaginé, au moment de mes lectures, un nombre si impressionnant de déplacements. C'en aurait presque été un Sur la route (Kerouac) international, remixé à la sauce gallo-romaine.
Au final, c'est par bribes plaisantes que le visiteur en découvre toujours un peu plus sur l'univers d'Astérix. Ici, les albums figurent dans leur intégralité; trente-cinq en tout. Là, ils apparaissent dans toutes les langues possibles mais aussi traduits dans d'atypiques dialectes. Imaginez seulement le casse-tête des traducteurs du monde entier lié aux jeux de mots ! En ce qui me concerne, J'aurais bien hasardé une lecture ch'ti...
Cette évolution, ce succès, sont d'autant plus intéressants qu'ils interviennent en même temps que de sacrés bouleversements. La disparition de Goscinny en 1977 marquera un tournant évident, Uderzo poursuivant alors l'aventure en solo dès Le grand fossé mais signant toujours de leurs deux noms. Intéractive, l'exposition propose des documents inédits, des correspondances, des interviews à lire ou écouter à ce sujet, illustrant ainsi les coulisses d'une belle histoire, ses à-coups, ses rebondissements et toute sa tendresse.
Car le modernisme touche Astérix. Les albums sont adaptés en dessins animés ou en films. Des produits dérivés sont crées. Jeux, jouets, concours... La publicité s'empare de la chose et les gaulois indomptables deviennent un phénomène. Peu à peu, ils entrent dans la culture populaire, non sans une certaine affection. La rétrospective se répand alors en un bric-à-brac phénoménal d'objets en tout genre, sorte de brocante hors du temps où les peluches narguent les figurines et inversement; et où les paquets de céréales proposaient décidément une version vintage de nos surprises actuelles ! Plus loin, je reste scotchée devant un écran "Et un peu de sucre en poudre"... qui diffuse de savoureux extraits tels "Le pudding à l'arsenic" (Astérix et Cléopâtre) et "La maison qui rend fou" (Les douze travaux d'Astérix).
La dernière partie de l'exposition m'aura, je crois, comblée définitivement. Elle est celle qui s'approprie les jeux de mots et calembours, les anachronismes, les caricatures de vedettes de l'époque croquées en quelques personnages guests de divers albums; celle de tous les délires et de toutes les fantaisies créatives. Le visiteur est alors fortement invité à deviner de quelles fables mythologiques sont tirées certaines postures, de quels films sont issus certains passages... Très vite pour les connaisseurs, cela devient un jeu addictif et percutant, un questions/réponses entêtant qui nous fait ouvrir des fenêtres, tourner des plaquettes, glisser nos yeux ici ou là. C'est qu'il aurait été dommage de rester passif, par Taranis ! Les albums sont passés au crible, sept erreurs s'y seraient-elles glissées ? On y retrouve les Dupont/Dupond de Tintin ou même le Marsupilami. Les jeux de mots vont bon train, me faisant sourire malgré moi. "Ta vie ne tient qu'à un fil Téléféric !" surtout que "Tous les étés, les ibères deviennent plus rudes." Mais "On ne parle pas sèchement à un Numide" que l'on me répondrait bien. C'est ainsi, Astérix m'a toujours fait rire et il semblerait que cela continue aujourd'hui encore.
Un ultime coup d'oeil, le bureau des deux auteurs est reconstitué. Une machine à écrire, une jolie quantité de paperasse, de la correspondance et des illustrations... On finit sur une note un peu intime, plus sérieuse cette fois mais délicieusement touchante. De l'humour et de la rigueur: le tableau dressé illustre à merveille la pluralité de ce duo hors-du-commun. Et comme je fais rarement les choses en dilettante, je reste encore là une bonne heure étendue sur un sofa, à relire trois albums d'Astérix le Gaulois. Il est à préciser que la BNF met à la disposition des visiteurs les albums afin des les parcourir librement. Diantre, j'avais oublié que La Serpe d'or m'avait fait couler l'eau des cils pour une si bonne cause, dans le passé déjà !
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Reste qu'en relatant tout cela, j'ai derrière mon clavier -heureusement que vous ne me voyez pas-, un sourire béat. Astérix à la BnF est un petit trésor d'informations pertinentes, lancées avec une désinvolture bienvenue. L'exposition se révèle être concise et structurée, mais pas seulement. Elle joue aussi sur une corde sensible, celle de la nostalgie, qui nous renvoie à l'enfance sans pour autant omettre de faire travailler nos méninges. Forte de documents variés et rares, elle parvient également à dévoiler une richesse incroyable d'explications et d'analyses, mais jamais ne s'éparpille. Au contraire, elle engendre le divertissement et, de la sorte, se montre accessible aux petits comme aux plus grands, aux inconditionnels de la première heure comme aux curieux néophytes.
Pour ma part, j'ai tellement aimé me retrouver le nez dans ces planches, jadis connues par coeur, qu'il est fort possible que mon objectivité vienne à manquer. Ceci étant, lorsque vous évoluez dans une exposition ou chaque visiteur exhibe un sourire jusqu'aux oreilles et qu'au loin, jaillissent certains gloussements (à Paris, oui oui), la bonne ambiance devient assez vite communicative. Et si mon vilain sens critique aurait souhaité que certains sujets soient d'avantage abordés (Quid des Douze travaux d'Astérix ou de la création du Parc Astérix à peine évoqués ?), je reste sur une touche exquise qui m'aura permis d'apprendre beaucoup, de redécouvrir passionnément et de lire à la folie. Désormais retournée au sein de cet imaginaire paradoxalement populaire mais recherché, je reprendrais bien un peu de potion. Je crois que je ne suis pas encore suffisamment tombée dedans lorsque j'étais enfant...
-Livy-
Et pour plus d'informations:
Astérix à la BnF ! (jusqu'au 26 janvier 2014)
Grande Galerie, BNF, Quai François Mauriac
75013 PARIS
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