Raconte-moi l'automne en cinq films
On ne l'attendait plus mais v'là-t'y pas qu'il arrive enfin, ce bougre de billet cinéma ! Aussi fraîchement pondu que nos températures extérieures, il se targue de ses coups de cœurs d'automne et de ses drôles de déceptions, puis s'emmitoufle de subjectivité pour mieux siroter une large palette d'émotions. Un programme de saison qui se réfugie dans le cocooning des salles obscures et nous transmet toute sa chaleur, hot beverage à l'appui, avec une pluralité approuvée. Pour ce faire, j'ai opté pour un aventureux voyage en cinq films. Cinq films marquants ou m'ayant marquée, cinq incontournables que même les ermites n'auraient pu manquer; une sélection un poil dramatique mais qui m'apparaissait comme une évidence à traiter. Du rire aux larmes alors, et du sarcasme aux fatalités de la vie, place à un monde parallèle et fantaisiste auquel je vous convie sans plus tarder; et parce que rêver ou s'évader pourrait bien être la plus éloquente des réalités.
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Film coup de coeur
Alabama Monroe de Félix van Groeningen
Ça parle de quoi ?
"Didier et Élise vivent une histoire d'amour passionnée et rythmée par la musique. Lui joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country et vénère l'Amérique. Elle tient un salon de tatouage et chante dans le groupe de Didier. De leur union fusionnelle naît une fille, Maybelle..."
Dépressifs s'abstenir ! Quant aux autres... Alabama Monroe, relativement méconnu, est une bien curieuse trouvaille à l'esthétisme avéré. Sans doute un ovni du cinéma, sans demi-mesure ni compromis, et qui se passe de mots car l'histoire se découvre plutôt qu'elle ne se raconte. Ici, la vie a des parfums de scandale et de liberté, des rêves de Terre Promise et d'absolu. La fougue de la jeunesse est une passion inavouée tandis que l'on franchit les obstacles de l'existence qui passe avec une tristesse poétique et un onirisme malmené. Porté par une bande originale country magistrale, fil conducteur décidément bouleversant capable de nous faire passer du rire aux larmes en deux secondes chrono, le film se décortique de flash-back en flash-back et offre au spectateur la spontanéité du désespoir avec une violence inouïe. Nos émotions ainsi rudoyées, à l'image d'un yo-yo détraqué, le scénario se gorge d'une audace loufoque qui empêche de tomber dans une débauche lacrymale purement stérile mais s'élève au contraire vers une quête symbolique, hélas vaine. Les évènements se succèdent et s'interpellent, jouent du coude et puis s'éloignent. Il en découle un aspect dramatique à l'état brut, rustique et captivant, que le duo d'acteurs principal rend irrésistible, non sans une sensualité certaine. De quoi mêler la romance à la noirceur dans une beauté déchirante; et fatalement finir en poor lonesome cowboy.
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Retour sur la Palme d'Or du Festival de Cannes 2013
La vie d'Adèle, chapitres un et deux de Abdellatif Kechiche
Ça parle de quoi ?
"À 15 ans, Adèle ne se pose pas de questions: une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve..."
Une palme d'or enfin méritée, était-ce donc possible ? Force est de reconnaître que j'avais fini par en douter ces dernières années, tout comme l'idée que La vie d'Adèle ne saurait me convaincre: j'avais tort. Trois heures dans une salle de cinéma et aucun ennui à l'horizon, on me l'aurait dit que je n'aurais osé y songer. Pourtant, il m'a semblé que le film exerçait un pouvoir captivant intense, brillant par son réalisme et se nourrissant d'une sensibilité à fleur de peau. Je conçois d'ailleurs tout à fait les difficultés de tournage évoquées dans la presse tant les émotions sont à vif, écorchées et torturées. Il y a ce petit quelque chose en plus, ce "truc" qui fait toute la différence et nous plonge en immersion totale dans la peau d'une autre. Cette Adèle, sous ses airs de girl next door, est criante de vérité et le long-métrage entier devient une perle, un bijou dans la tourmente doté de sentiments communicatifs comme rarement dans une fiction. Je mettrais sans doute un bémol au jeu d'Adèle Excharchopoulos dont les mimiques m'agacent un brin, mais qu'importe ! Certaines scènes semblent si vraies (notons la dispute, remarquable dans sa puissance) qu'il serait difficile de résister d'avantage. De la sorte, là où certains ont vu du voyeurisme cru, j'ai surtout perçu la symbolique de la passion. Une passion qui consume, qui détruit... et qui grandit aussi. Tel un parcours initiatique, l'âge adulte succède à l'adolescence avec une belle justesse, sans sublimer la vie jamais, mais en la gorgeant de conversations cultivées et de réflexions prenantes. Et si le réalisateur nous propose une intimité bien peu innocente, c'est pour mieux nous bousculer et nous offrir ce film non conventionnel, assez gênant somme toute, mais à la portée psychologique indéniable. En deux mots: borderline et jouissif.
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Deux styles, deux réussites
Blue Jasmine de Woody Allen
Ça parle de quoi ?
"Alors qu’elle voit sa vie voler en éclat et son mariage avec Hal, homme d’affaire fortuné mais corrompu, battre sérieusement de l’aile, Jasmine quitte son New York raffiné et mondain pour San Francisco et s’installe dans le modeste appartement de sa soeur Ginger afin de remettre de l’ordre dans sa vie."
Peut-être pas le meilleur Woody (quoique dans les très bons, d'emblée) mais néanmoins un exquis moment de cinéma. Et par exquis, j'entends douloureux et cruel, mais avec humour. Cette Jasmine est aussi légère que son histoire est lourde, aussi inconsistante que sa vie est désormais une successions de responsabilités. Une sorte de paradoxe ambulant qui confère au film une base solide renforcée par une vraie personnalité. À mi-chemin entre un spleen fortement ancré et un comique de situation des plus réjouissants, le réalisateur nous offre, non sans une certaine délectation, une tranche de vie sombre et chic qui nous accroche aussitôt dans une confusion de sentiments, domptée par le cyclothymisme ambiant d'une Cate Blanchett au sommet de sa forme. Car Blue Jasmine au fond est cette tragédie au coeur tendre; de celles qui nous laissent impuissants devant une machine infernale que rien ne peut stopper. Alors, quand l'amertume se fait comique et l'héroïne atta-chiante à souhait, le rythme enlevé nargue la dépression ambiante et guide ce portrait désanchanté vers une bien cynique conclusion. Jusqu'à l'extase probablement.
Jeune et jolie de François Ozon
Ça parle de quoi ?
"Le portrait d’une jeune fille de 17 ans au caractère atypique et sulfureux, en 4 saisons et 4 chansons."
Osé mais pas voyeur. Plus élégant que vulgaire. Ozon signe ici un film léché qui ne laisse pas indifférent mais génère au contraire un questionnement voire un débat. Les affres de l'adolescence, le recul indécent d'une jeune fille par rapport à ses actes, et surtout pas de généralités... Jeune et jolie surprend et dérange à volonté. Car bien loin d'être neutre, il prend le parti d'une provoc' dévastatrice et cruelle, très intelligemment menée par Marine Vacht dont la beauté, tantôt innocente, tantôt glaciale, irradie l'écran. Avec un parfum de scandale à la légèreté désemparante, il évite ainsi l'écueil souvent facile des critiques de la société et permet au contraire une prise de distance bienvenue au sein d'un malaise grandissant. Le film est anxiogène oui, mais pour la bonne cause, et le trouble qui s'empare du spectateur est maîtrisé à la perfection dans cet exercice de style dont les émotions sont d'avantage à découvrir en toile de fond. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de comprendre pleinement la psychologie de l'héroïne pour s'y laisser embarquer. Mais juste sautiller de scène en scène allègrement et se laisser captiver par ce jeu, plus dangereux que ludique. En résulte un joli conte d'aujourd'hui, qui aurait facilement pu sombrer dans le glauque mais a su rebondir avec brio pour s'en aller explorer des tendances d'avantage raffinées. Brillant traitement du sujet.
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Tout le monde en parle
Gravity de Alfonso Cuarón
Ça parle de quoi ?
"Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Le silence assourdissant autour d'eux leur indique qu'ils ont perdu tout contact avec la Terre et la moindre chance d'être sauvés. Peu à peu, ils cèdent à la panique..."
Tout le monde en parle oui... et tout le monde a crié au chef-d'oeuvre aussi. Le film au budget phénoménal a su mettre d'accord les critiques et générer un engouement sans limites. Au-delà de cela, il y avait moi sans doute. Moi qui suis restée sceptique et désemparée lors du générique de fin, à me demander si je n'aurais pas mieux fait de passer mon tour pour cette fois. Que je ne vous en dégoûte pas cependant. Bien sur, les images de la Terre prise de l'espace sont époustouflantes et vous poursuivent comme si vous y étiez. Bien sur le long-métrage est très visuel. Bien sur également, l'on se prend d'angoisse au fil de l'histoire, à haleter voire suffoquer à chaque nouvel événement autant que le silence est (à juste titre) présent. Mais est-ce bien suffisant ? J'aurais pour le coup préféré un documentaire spatial ou quelques chose du genre. Parce que sitôt passée la fascination de la première demi-heure, c'est toute la pauvreté du scénario qui s'impose d'elle-même, plus mince encore qu'une Cara Delevingne ! On entre alors dans l'ère de rebondissements peu crédibles et répétitifs à souhait où le personnage interprété par Sandra Bullock (bon jeu d'actrice, vous noterez) s'en sort tellement bien qu'elle ressuscite telle une Lara Croft dans le dernier Tomb Raider, jeu vidéo où l'héroïne joue de malchance mais triomphe de tout en bonne warrior qu'elle est. Quant à la consistance des rapports humains et même la charmante dose de pathos ajoutée pour vous tirer les larmes, je n'ose à peine y penser... Vous l'aurez donc compris, l'assaut d'effets spéciaux n'y changera rien, j'avais avant tout besoin d'une histoire construite pour être séduite. En vain. Reste que la nausée provoquée par la 3D ne m'a pas déçue, elle.
-Livy-