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Livy Etoile
15 octobre 2013

Anna au théâtre du Rond-Point, sous le soleil exactement

Anna_affiche

Lorsque les salles obscures deviennent une seconde maison et un plaisir du quotidien, il est de bon ton de privilégier les sorties un peu plus inédites et de s'y perdre, entre rêverie et affabulation; de celles qui nous embarquent loin, dans quelques univers résolument irréels aux excentricités bienvenues, et nous font vivre drames et passions inavouées avec la même ferveur. Je veux bien sur parler des spectacles vivants.

Cette rentrée 2013 aura notamment été marquée au théâtre par une pièce fortement inspirée (un "Gainsbourg revival" ne se refuse pas), tout à fait originale et résolument pop: l'audacieuse Anna au théâtre du Rond-Point dont je vais à présent vous toucher deux mots.
 

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L'histoire

Un dénommé Serge s'éprend passionnément de la photographie d'une jeune femme. Déterminé, il part à sa recherche avec une réelle frénésie. Il ignore cependant qu'il la connaît déjà...
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Et si on reprenait du début ?


À l'origine, Anna était un téléfilm français datant de 1967 et réalisé par Pierre Koralnik. S'il n'a jamais brillé par son intrigue simpliste, il s'est pourtant imposé dans le paysage culturel des 60's grâce à sa mouvance "nouvelle vague" et son style "comédie musicale" mené d'une main de maître sous la plume de Serge Gainsbourg; le tout renforcé par une pléiade de comédiens tels Jean-Claude Brialy, Eddy Mitchell ou encore Marianne Faithfull. Autant d'éléments qui ont fait de l'œuvre un véritable monument pop ultra-léché et passablement avant-gardiste.

Anna__BO_originale

En a résulté une bande-originale à succès, dotée d'influences multiples et résolument british de laquelle on retiendra notamment Sous le soleil exactement et Roller girl, deux morceaux bien connus du grand Serge.
 

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Aujourd'hui

Le metteur en scène Emmanuel Daumas a réveillé pour nous la provoc' pop-acidulée de Gainsbarre en remettant le téléfilm au goût du jour, mais sous forme d'une pièce de théâtre cette fois. Avec Cécile de France dans le rôle principal (celui d'Anna), il nous offre un conte musical tiré au cordeau, qui jongle sans cesse entre le rétro et une mouvance trash-décalée intemporelle.
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Et alors ?

Pas évident de rentrer dans le vif du sujet de prime abord. Le scénario est quasi-imperceptible et les premières minutes, avec leur lot de cris explicites et de danses lascives, lancés un peu au hasard, sont aussi accessibles qu'un spectacle de danse contemporaine sur Arte à 3 heures du matin ! On cherche la construction de l'ensemble, on tâtonne...

Pourtant, très vite, la pièce va évoluer, basculer. Ce ne sera sans doute pas grâce aux dialogues qui demeureront secondaires tout du long mais plutôt par le biais de la musique; car celle-ci se révélera bel et bien comme un fil conducteur solide et communicatif. Et si les comédies musicales (et globalement tout ce qui chante au cinéma etc.) me laissent généralement hermétiques, la façon dont sont amenés les morceaux ici n'a pu susciter mon indifférence. D'une part, j'ai apprécié la qualité de chansons qui m'entêtaient déjà depuis longtemps; quant à la mise en scène...

Autant vous le dire, c'est bien là le plus réussi. Inventive et (im)pertinente, cette dernière est un jeu permanent qui confère à la pièce tout son caractère visuel. À mille lieues des décors de théâtre qui se changent bien souvent dans le noir le plus total, ce sont ici les comédiens qui font évoluer l'ambiance, l'état d'esprit et le lieu en continu, par le biais d'écrans qu'ils déplacent ou gribouillent à foison, ainsi qu'un système vidéo passablement high-tech. Rien n'est figé, tout demeure en mouvement, dans une exquise symbolique. Le public se trouve ainsi spectateur de l'évolution de la trame, perdu dans ces actions multiples qui assurent à la pièce une pleine possession de la scène. Et la magie d'opérer de la sorte, dans quelques délires obsessionnels que l'histoire d'Anna engendre fatalement... C'est un pari fou ! Aussi osé que bien amené, et dont l'esthétique impeccable permet à la musique de s'épanouir.

Cecile_de_France__Anna_2

Alors évidemment (et heureusement), plane l'influence de Gainsbourg. Une influence mutine, du genre à exacerber la sexualité, la rendre ambigüe, comme à fleur de peau. Une influence sensible également, qui retranscrit avec beaucoup de talent des émotions intenses et très changeantes. Mais surtout une influence retravaillée, avec un zeste d'electro décidément actuel et des transitions sonores qui envoient du bois. C'est bruyant pour la bonne cause. Et volontairement provoc' oui, mais en comparaison du téléfilm, c'est tellement plus sage aussi.

C'est-à-dire qu'outre un humour décalé qui enjolive malicieusement cette nouvelle adaptation, humour notamment lié aux rôles secondaires, il est difficile de s'attacher aux personnages tant ils semblent loin. Ils exultent, s'enflamment, s'effondrent mais, pris dans leurs sautes d'humeur, restent souvent entre eux laissant un public un tantinet en retrait. Cécile de France rayonne cependant, et parvient à faire le show avec un enthousiaste très rock. Quand la timidité de son rôle s'efface, elle chante et danse avec une exaltation bienvenue à laquelle on ne peut qu'accorder du crédit.
En guise de cadeau bonus, Anna est une pièce douce-amère qui, bien au-delà du dynamisme déployé, n'échappera pas à une conclusion plus réaliste qu'optimiste, évitant ainsi l'écueil (souvent affligeant) des bons sentiments.
 

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Le hic ?

Je reste un peu dubitative à cause du rythme saccadé notamment, et de cette absence d'écriture qui limite l'évasion et bride mon amour pour les beaux textes; comme si la fable existait d'avantage de par son contenant que par son contenu, celui-là même que seule une musique déjà connue pouvait sauver. Peut-être aurait-il fallu ajouter à un ensemble, déjà fort prometteur, une touche personnelle plus incisive, l'aspect trash et déjanté n'étant pas forcément une fin en soi. 
 

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N'allons toutefois pas nous méprendre ! La soirée fut excellente, à la fois vintage et moderne, et a su me combler de par sa vive énergie notamment. J'ai trouvé à la pièce ce côté "performance" qui m'a charmée autant qu'il m'a dérangée (et j'aime être dérangée) tandis que je salue fortement le jeu psychédélique des acteurs. De plus, il était décidément plaisant de retrouver cette "nouvelle vague", doux retour à des temps plus anciens où François Truffaut et Jean-Luc Godard (entre tant d'autres) posaient d'une main de maître leur empreinte sur le cinéma français.

Mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que rien ne pourra jamais égaler Gainsbourg. L'homme à la tête de chou possédait en effet ce génie, cette créativité, cette spécificité, que toutes les adaptations du monde ne sauraient retranscrire avec autant de virtuosité. Il fallait donc une volonté de fer pour s'attaquer à ce monument. Et globalement cette Anna nouvelle génération est un délice d'étrangeté, certes imparfaite, mais ô combien appréciable en cette rentrée.

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Plus d'informations par [ici]
En prime, Sous le soleil exactement interprété par Anna Karina []
Et Roller girl également [là aussi]

-Livy-

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