L'aqueduc Médicis, petite histoire de l'eau à Paris
À moins que vous ayez élu domicile dans une grotte (auquel cas, je vous admire), vous n'avez pu passer outre la trentième édition des Journées Européennes du Patrimoine qui se tenait le week-end dernier, à nous présenter avec bonheur ses maintes curiosités. Et si comme moi, les secrets de nos villes, les cours cachées et les bâtiments inexplorés sont une vraie source d'inspiration, vous avez pu traquer gaîment l'Histoire sur divers parcours, alliant ainsi la culture à la singularité.
Pour l'occasion, la motivation légèrement entamée par une pluie redondante ne m'a pas conduit vers les réservations-clés de lieux dont je rêvais pourtant depuis bien longtemps (musée des arts forains, anciennes stations de métro...). Je me suis en revanche quelque peu éloignée des sentiers battus avec une visite hors Paris et tout à fait insolite: celle d'un aqueduc. L'aqueduc Médicis d'Arcueil-Cachan. Il m'a semblé alors que c'était suffisamment peu courant (rarissime même, le monument ne se visite d'ordinaire pas, c'est interdit) et intéressant pour venir vous en toucher deux mots ici. Et par chance avec toute cette pluie, il est question de l'eau de Paris...
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Parce qu'il faut bien le savoir, tandis que nous autres pauvres mortels, buvons allègrement et paressons dans nos bains, l'eau à Paris est le fruit d'une organisation de folie, menée tambour battant à différents points clés situés autour et aux portes de la capitale. L'histoire de l'aqueduc Médicis, notamment, vieux de 400 ans (on fête son anniversaire cette année), nous entraîne au sein d'un parcours long d'une bonne dizaine de kilomètres dans la banlieue sud de la capitale, effectuant ses arrêts principaux à Rungis, Fresnes, L'Hay-les-Roses, Cachan et Gentilly avant de finir à la maison du Fontainier dans le 14 ème arrondissement parisien. Si la construction est en majeure partie souterraine, les points d'eau plantent leurs bribes d'architecture par le biais de "regards", de fontaines, de pavillons ou encore d'aqueducs. Ils symbolisent ainsi un itinéraire riche et diversifié qu'il est possible de suivre à pieds suivant un tracé bien établi pour les amoureux de la randonnée.
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Un peu d'histoire...
De nos jours, l'aqueduc Médicis est passablement méconnu mais son histoire ne manque pourtant pas de rebondissements. Afin de nous mettre dans l'ambiance, revenons-y un court instant...
Au XVII ème siècle, alors que Paris manque cruellement d'eau potable accessible à tous, et en particulier la rive gauche, Henri IV travaille sur un projet d'aqueduc de grande ampleur; projet qui sera un peu mis à mal suite à l'assassinat de ce dernier. Laissé quelques années à l'abandon, le monument est finalement érigé en plein cœur de la vallée de la Bièvre par le roi Louis XIII et sa mère la régente Marie de Médicis en 1613, puis mis en service en 1623. Il se gorge des sources proches de Rungis pour suivre différentes étapes de purification sur son chemin et fournir Paris en eau potable. De façon plus ludique, il sert également à alimenter fontaines et jeux d'eau. Il doit d'ailleurs son nom à cette dernière préoccupation puisque Marie de Médicis, à la tête des travaux, était de toute évidence plus soucieuse de l'esthétisme du bassin situé dans notre actuel jardin du Luxembourg, lieu où elle avait prévu d'élire domicile, que de la soif des parisiens !
De nos jours, la partie hors Paris de l'aqueduc est classée monument historique. Dans la capitale en revanche, les nombreux travaux d'urbanisme et d'aménagement du sous-sol ne l'ont pas préservé intact et certaines parties n'existent plus désormais.
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À la découverte des aqueducs d'Arcueil-Cachan
Photographies prises à d'autres moments, par une météo plus clémente...
Le monument imposant est en réalité un trois-en-un. Il porte dans ses fondations les vestiges d'un aqueduc gallo-romain qui approvisionnait jadis la belle Lutèce, s'enhardit ensuite de l'aqueduc Médicis en architecture centrale, et se ponctue enfin par les pierres de l'aqueduc de la Vanne dont l'activité intense aujourd'hui encore, alimente le très "secret-défense" réservoir de Montsouris, à Paris 14ème.
Pour des raisons de sécurité évidente, celui-ci est interdit au public. La partie de l'aqueduc Médicis, quant à elle, contient dans ses tuyaux une eau un peu moins précieuse mais tout aussi poétique puisqu'elle s'en va directement remplir le bassin du parc Montsouris. Plus facile d'accès de la sorte, la visite n'en demeure pas moins une rareté et les Journées du Patrimoine étaient l'occasion rêvée de pénétrer dans ce bâtiment atypique qui ne livre pas ses secrets si facilement.
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La visite
Naturellement, il s'agit d'une visite guidée. J'avoue avoir tendance à préférer les errances by myself mais une fois n'est pas coutume, je peux tout à fait me prêter à un brin de docilité si c'est pour savourer de petites parcelles d'inédit...
Les deux premières étapes constituées d'un film-documentaire explicatif et d'un topo sur le parcours de l'eau, le tout à grand renfort de repères géographiques et de photographies, m'auront d'ailleurs permis ces nouvelles connaissances que je viens de vous conter.
Le clou du spectacle toutefois demeure l'intrusion en ces lieux... Apparemment, voilà qui se mérite rudement car il faut ramer un certain temps pour accéder au petit morceau d'aqueduc, avec une attente ardue dans le froid et sous la pluie, liée à un souci d'organisation notoire (on ne lâche rien, on râle toujours ^^). C'est finalement chapeautée d'un casque de chantier que je m'engouffre dans le couloir étroit et sombre.
Qu'on ne s'y trompe pas, le moment est tout choisi pour mettre sa claustrophobie de côté. La lumière du jour se manifeste seulement par quelques minuscules fenêtres postées ici et là tandis que le plafond, voûté naturellement, doit osciller entre 1m65 et 1m70. Et puisque que j'ai eu la bonne idée de tenter une posture droite heurtant les parois, je ne vous raconte même pas la dégringolade de petits graviers !
On évolue lentement dans cet univers étrange et sans fin, le long d'un tuyau rempli d'eau, celui-là même qui alimente la "mare aux canards" du parc Montsouris. Le moindre bruit raisonne et les lampes-torches vacillent, donnant à l'expédition de faux-airs de spéléologie.
Pour parfaire une ambiance lounge intimiste, des leds de couleurs sont installées en début de parcours.
Ici ou là, des anecdotes. On apprend ainsi qu'au XIX ème siècle lors de la guerre de 1870, les Prussiens se sont engouffrés dans l'aqueduc et l'ont vidé de toute son eau, laissant leurs ennemis parisiens complètement à sec et sans aucune réserve.
D'une façon générale, l'aqueduc a souvent servi de refuge. Lieu de rêverie ou d'inspiration artistique, cachette évidente ou encore repère de contrebandiers, il possède en son sein ce parfum de mystère et d'intrigues d'un autre temps.
Ailleurs, gravés dans la pierre, des dessins d'outils. Les tailleurs avaient, semble t-il, chacun leur marque de fabrique et elles subsistent encore aujourd'hui. Il suffit juste d'ouvrir l'œil.
Par le biais de ces histoires dans l'Histoire, la visite se nourrit et s'étoffe. Le retour s'effectue en chemin inverse et nous sortons de l'antre de l'eau-de-là par le même endroit que nous sommes entrés, le regard 13. Un peu de superstition, après tout, n'a jamais fait de mal à personne...
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De cette visite alors, je retiens l'étrangeté autant que la connaissance, les traces du passé en guise de fascination avérée. Je ne me voyais pas particulièrement explorer ce genre d'endroit (moi qui dans le métro bondé suffoque déjà) mais j'avoue avoir été surprise, dans le bon sens du terme. Riche d'un nouveau savoir que j'aurais bien pu ignorer longtemps encore sans cette expédition, je me suis sentie transportée dans un autre temps, parmi les complots et les réformes, les brigands et les artistes... Une véritable aventure somme toute, un peu façon "Secrets d'Histoire" mais dans la vie réelle; de celles qui nous entraînent loin l'espace d'un après-midi, pour se retrouver en immersion totale dans une dimension parallèle, bien à l'abris des regards indiscrets. Comment n'aurais-je pu succomber ? L'envers du décor révèle toujours des interrogations que leurs réponses transcendent. Et partie pour d'autres lieux, je me suis retrouvée là, sans trop savoir pourquoi mais la curiosité gonflée à bloc. Car au fond, c'est un peu comme cela que je perçois les Journées du Patrimoine. Une mine immense de possibilités qui, si l'on se laisse un tant soit peu tenter par la spontanéité, nous conduit forcément dans un univers surprenant, déroutant, attrayant. Autant vous dire que je ne regrette pas de m'être jetée à l'eau !
-Livy-