De jolis moments du cinéma 2012
Aucun billet sur le sujet depuis de trop longs mois signifierait-il point de cinéma ? Que nenni. J'ai certes un penchant cyclothymique à l'écrit mais ma constance à traquer du film et du nanar n'aurait su m'abandonner. Aussi, après avoir vagabondé d'omissions en procrastination, les oublis se réparent dès aujourd'hui.
Et cette moisson 2012 alors ? Loin d'être des plus avantageuses. Entre déceptions évidentes et scénarios sans conviction, j'ai souvent eu l'impression de perdre mon temps, mon latin et même mes émotions ! Nous en reparlerons... Je me suis toutefois gardée quelques coups de coeur, surprises impromptues et autres divines rêveries d'autant plus que, me direz-vous, l'année n'est pas encore finie. Alors, tandis que je ne cesse de faire grandir la liste d'un "top 10" en devenir, et parce que les bonnes choses méritent sans doute d'être racontées en premier, je vous fais profiter d'emblée de mes périples les plus enthousiasmants en salles obscures et dérivés.
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Coups de coeur
Elle s'appelle Ruby de Jonathan Dayton et Valerie Faris
Ça parle de quoi ?
"Calvin est un romancier à succès qui peine à trouver un second souffle. Encouragé par son psychiatre à écrire sur la fille de ses rêves, il voit son univers bouleversé par l’apparition littérale de Ruby dans sa vie, amoureuse de lui et exactement comme il l’a écrite et imaginée."
Dans la continuité de Little Miss Sunshine, Elle s'appelle Ruby est une fantaisie pétillante, totalement surréaliste, menée tambour battant par un duo d'acteurs excellents, et dont le charme opère de suite. On aurait en effet pu imaginer un "second film" décevant mais il n'en est rien. Au contraire, cette comédie, qui tend au romantisme et à l'amûûûr, gagne surtout ses lettres de noblesse en revisitant le mythe de Pygmalion avec une délicate fraîcheur et un zeste d'originalité bien placée. La légèreté y côtoie donc un univers plus sombre, plus tourmenté, permettant au film de jouer sur un double registre et d'aborder des thèmes existentiels dignes d'intérêt. Par ailleurs, et au-delà de la pertinence du propos, Elle s'appelle Ruby est tout simplement bien vu, bien joué, bien ficelé. Il s'agit en effet d'un long-métrage sans prétention mais puissant, dont les mots sensibles nous touchent tellement ils sont proches de notre quotidien, la finesse d'écriture n'y étant évidemment pas pour rien. Ainsi, entre rêve et réalité, l'oeuvre se perd autant que ses héros et, au gré d'une palette de sentiments mêlés, exécute avec brio une danse dont le dénouement est un bonus exquis.
Dans la maison de François Ozon
Ça parle de quoi ?
"Un garçon de 16 ans s'immisce dans la maison d'un élève de sa classe et en fait le récit dans ses rédactions à son professeur de français. Ce dernier, face à cet élève doué et différent, reprend goût à l'enseignement, mais cette intrusion va déclencher une série d'événements incontrôlables."
Avec Dans la maison, Ozon propose d'aborder le cinéma de la façon la plus borderline qui soit, n'ayant de cesse de brouiller les pistes pour mieux mêler fiction et réalité au sein d'un questionnement perpétuel. Il nous présente ainsi une oeuvre aiguisée et fascinante qui, jusque dans ses moindres détails, sait capter l'attention du spectateur. Tout dans le film, de ses mots choisis à ses angles du vue, de ses clichés déjoués à un aspect ludique non négligeable, s'impose avec charisme et suspense. Les différents degrés de lecture augmentent encore l'intérêt de l'ensemble et mettent en avant une structure des plus ingénieuses. Côté scénario, de minuscules longueurs ne sauraient ternir le caractère fort des personnages et de l'intrigue. C'est anxiogène à souhait; et délicieux. Et cet excès d'audace et de voyeurisme, un peu malsain parfois, laisse planer sur la maison quelques chose d'absolument insaisissable. Un exercice d'une rare virtuosité dans lequel son réalisateur comme ses acteurs excellent vraiment, tout en maintenant le cap d'une sobriété absolue.
Starbuck de Ken Scott
Ça parle de quoi ?
"Alors qu’il s’apprête à être père, David Wosniak, éternel adolescent de 42 ans, découvre être le géniteur anonyme de 533 enfants déterminés à le retrouver."
S'il est un long-métrage dont j'attendais peu et qui m'a procuré un immense bonheur cette année, c'est bien Starbuck. Surfant sur un humour tendre et des situations comiques irrésistibles, le film de Ken Scott est avant tout une oeuvre intelligente qui parvient à amener une thématique polémique avec beaucoup de tact et de justesse. Les dialogues (en québécois !) sont divins et les scènes se succèdent avec un naturel désarmant, dans l'émotion comme dans la fantaisie. L'acteur principal, quant à lui, révèle un jeu sensible qui oscille joliment entre le "too much" et le touchant, à mesure que le fil conducteur se laisse enrober dans cette fable contemporaine à la cohérence malicieuse. En bref, Starbuck est une vraie mine d'astuces et d'émotions dont le sujet à fleur de peau est une prise de risques assumée et plus encore, réussie.
Moonrise Kingdom de Wes Anderson
Ça parle de quoi ?
"Été 1965. Sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, Suzy et Sam, douze ans, tombent amoureux, concluent un pacte secret et s’enfuient ensemble. Alors que chacun se mobilise pour les retrouver, une violente tempête s’approche des côtes et va bouleverser davantage encore la vie de la communauté."
Ô jubilation ! Wes Anderson nous revient en grande forme et signe cet excellent long-métrage, à la fois loufoque et poétique, à l'image de son si étrange univers. Moonrise Kingdom est de ce fait un conte initiatique gorgé d'émotions diverses, qui vire du rire aux larmes sans sourciller, à mi-chemin entre un imaginaire édulcoré et un micro-drame réjouissant. Visuellement irréprochable, le film est un bijou fantaisiste au rythme haletant qui se lit tel une partition. C'est ainsi que d'une façon progressive, les personnages se distinguent les uns après les autres, et s'emparent de l'histoire afin de lui donner une réelle contenance. Mieux encore ! Le casting, savamment étudié, pousse les acteurs à jouer avec leur image, offrant ainsi de savoureux moments où Bruce Willis et Bill Murray, notamment, rayonnent de drôlerie tout en s'en donnant à coeur joie. La fable est légère, l'idée charmante et les jeunes acteurs d'une fraîcheur adorable. Le spectateur n'aura pas à insister beaucoup pour se laisser embarquer, au gré d'une bande-son phénoménale, dans ce royaume décalé et palpitant qui se rit des réalités avec une élégance surannée.
Broken de Rufus Norris
Ça parle de quoi ?
"Après avoir été témoin d’une agression brutale, Skunk se rend compte que la maison où elle vit, son quartier, son école, lui sont devenus étrangers et hostiles. Les certitudes rassurantes de l’enfance ont laissé place à l’inconnu et à la peur. En cherchant le réconfort parmi les membres de son entourage, elle va se trouver confrontée à un choix. Poursuivre un chemin dans lequel elle ne se reconnaît plus ou se forcer à aller de l'avant."
Soyons clairs, on ne va pas voir Broken pour se divertir. Le film est grave, souvent rude dans ses propos, et d'un réalisme frappant. Pourtant, l'atmosphère qui y règne est prenante et l'intimité que le réalisateur a su instaurer entre ses personnages et le public démontre une vraie preuve de talent, à la fois génératrice d'angoisse et d'empathie. La mise en scène, très "cinéma indépendant", ainsi que les prises de vue tendent vers un côté arty fort appréciable. Par ailleurs, la jeune héroïne, touchante de simplicité, permet d'aborder une thématique douloureuse avec une élégance pudique tandis que, la violence s'en allant crescendo, le long-métrage nous épargne fort heureusement l'aspect pathos qu'on ne saurait tolérer. De ce fait, Broken ne s'appréhende pas avec une tristesse incommensurable mais plutôt à la façon d'un documentaire amélioré, très critique, porté par quelques clins d'oeil pop tout à fait bienvenus. Dommage cependant de ne pas nous épargner les clichés british des milieux populaires, à l'image d'un "sous Ken Loach". Mais pour un premier film, on en fera abstraction tout en saluant ardemment la performance.
L'incontournable Burton
Dark Shadows de Tim Burton
Ça parle de quoi ?
"1752. Le jeune Barnabas, issue d'une famille très aisée, commence une nouvelle vie en Amérique. Pourtant, une terrible malédiction pèse sur sa famille et devenu adulte, il commet une erreur qui lui vaut d'être transformé en vampire puis enterré vivant par une sorcière. Deux siècles plus tard, Barnabas est libéré de sa tombe par inadvertance et débarque en 1972 dans un monde totalement transformé."
Les critiques ont beau être mitigées, Dark Shadows est un petit bijou burtonien à l'esthétique sans limites, qui mérite d'être vu et revu. Le réalisateur se livre en effet à l'un des exercices de style dont il a le secret, nous embarquant d'emblée à grand renfort d'effets spéciaux dans une fable gothique et farfelue. Ici, l'humour est de rigueur et va de paire avec un imaginaire onirique aussi savoureux que possible. On se délecte alors de ce film enjoué et débridé, porté par une palette de personnages hauts en couleurs dont un Johnny Depp au sommet de sa forme et une Eva Green monstrueusement sexy en sorcière maléfique. Au-delà de la farce et son aspect fantasque, Dark Shadows est également un bloc de tendresse bien amenée, truffé de références que les habitués du genre sauront apprécier. Et si certaines scènes, certains détails, auraient franchement pu passer à la trappe (la fille-garou, quelle blague !), cette comédie parodique n'en demeure pas moins l'un des excellents moments de cinéma de l'année, aussi sombre que bariolée.
En demi-teinte
Cosmopolis de David Cronenberg
Ça parle de quoi ?
"Dans un New York en ébullition, l'ère du capitalisme touche à sa fin. Eric Packer, golden boy de la haute finance, s’engouffre dans sa limousine blanche. Alors que la visite du président des Etats-Unis paralyse Manhattan, Eric Packer n’a qu’une seule obsession : une coupe de cheveux chez son coiffeur à l’autre bout de la ville. Au fur et à mesure de la journée, le chaos s’installe, et il assiste, impuissant, à l’effondrement de son empire, certain qu’on va l’assassiner. Il s’apprête à vivre les 24 heures les plus importantes de sa vie."
Voici un film qui n'a pas fini de faire parler de lui. Passablement troublée voire ennuyée les trois premiers quarts d'heures, j'aurais bien quitté la salle sans hésiter, et pourtant ! Une fois l'univers installé, Cosmopolis prend tout son sens. Un peu trop verbeux certes, mais globalement intense, le long-métrage révèle une noirceur jubilatoire et inhabituelle qui hurle au génie. Il dérange ainsi autant qu'il séduit, avec une mise en scène tirée au cordeau et un esthétisme simple mais impeccable. Le sujet est brillant et nous tient en haleine avec une efficacité redoutable tandis que se déroule crescendo cette infinie journée. Robert Pattinson quant à lui bien loin du vampire pâlot de Twilight, nous livre ici une prestation excellente; tourments, réflexions et sensualité mêlés. Il en résulte un ovni du septième art qui surprend beaucoup et captive encore plus, de par ses obsessions multiples et son pessimisme trépidant. Du grand Cronenberg, cela va sans dire.
Dans la campagne anglaise...
Jane Eyre de Cary Fukunaga
Ça parle de quoi ?
"Après une enfance rude et une histoire personnelle douloureuse, Jane Eyre est engagée comme gouvernante de la petite Adèle chez le riche Edward Rochester. Cet homme ombrageux ne tarde pas à être sensible aux charmes de la jeune fille. Débute alors une folle passion."
Délicieusement romantique, cette nouvelle adaptation du roman de Charlotte Brontë s'impose d'emblée par son élégance et son esthétisme. On lui trouvera volontiers, dans le traitement du sujet, des points communs avec Bright Star de Jane Campion ou encore quelques clins d'oeil aux Haut de Hurlevent (Emily Brontë). Le récit est fluide et condensé, l'histoire habilement remaniée et le charme opère afin de laisser des zestes de tragédie s'emplir de féminité. Un régal évident, cela va sans dire, mais qui manque cependant un peu de caractère. En dehors de l'héroïne dont la performance est à saluer, les autres personnages paraissent en effet bien ternes, jusqu'à Michael Fassbender qui campe un Monsieur Rochester trop gentil pour être crédible. De ce fait, l'ensemble pêche parfois en dynamisme et souffre d'une mise en scène trop académique pour faire ressentir comme il se doit la profusion d'émotions pourtant bien présentes. Parenthèse fermée, cette version "proprette" a l'avantage certain de ne jamais tomber dans la mièvrerie tout en déversant une sobriété bienvenue et un charme désuet. La férue de littérature anglaise que je suis ne pouvait qu'apprécier.
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Bientôt, très bientôt, il y aura Skyfall aussi dont j'aurai à vous toucher deux mots;
Du cinéma dans quelques billets à venir et James Bond dans ma ligne de mire.
Il est toutefois temps de prendre congés
Non sans vous avoir souhaité une excellente journée !
-Livy-