"Autour du Chat Noir", l'histoire d'un cabaret
Parmi les expositions du moment, il en est une, petite et charmante, à ne manquer sous aucun prétexte: Autour du Chat Noir au Musée de Montmartre dont l'intitulé "histoire, bohême, cabarets" tombe à pic afin de nous relater les péripéties du célèbre café-concert parisien. L'idée est tentante, le thème atypique; de quoi nous plonger dans une vie artistique des plus trépidantes, à l'image du Cancan, de Toulouse-Lautrec et d'une créativité visuelle et intellectuelle en plein essor. La machine à remonter le temps ainsi enclenchée, le touriste de passage s'apprête à franchir l'entrée d'un cadre enchanteur, haut perché sur la butte et tout entouré de vignes. Ici, le passé se vit au présent. Intemporellement. Et bercé par des musiques d'un autre siècle qui fleurent bon le Paris qui s'encanaille, le musée recèle également quelques forts jolis secrets que je m'en vais vous conter...
L'histoire de l'antre
Désormais monument classé doté de plusieurs bâtisses et jardins, le musée de Montmartre fut un temps proche de la démolition, pour cause de délabrement et de vétusté, avant d'être finalement restauré. Sa disparition aurait certes été bien regrettable lorsque l'on sait que dans une période plus florissante, il avait été un véritable repère à talents, abritant peintres et écrivains, poètes et muses. Des artistes sans le sous y côtoyaient d'autres plus prestigieux, à l'instar d'une grande famille, et le bâtiment vécut ainsi au rythme des Dufy, Poulbot, Valadon et autres Utrillo. Au début de la période impressionniste, un certain Auguste Renoir y élu également domicile et prit ses marques dans un atelier adjacent. De cette époque, on lui doit plusieurs toiles majeures comme "Le bal du Moulin de la Galette" ou encore "La balançoire" dont l'objet, à présent bien cloué au sol par un ressort, demeure toujours au sein du jardin du même nom. Ces quelques anecdotes, touchantes de nostalgie, auront finalement traversé les époques pour parvenir jusqu'à nous et se changer au fil du temps en l'actuel musée: un centre culturel foisonnant.
Mais Quid de l'exposition ?
Autour du Chat Noir ( Arts et plaisirs à Montmartre) est avant tout une balade dans les mystères du cabaret. Au gré des salles diverses, bercées chacune par quelques chansons d'antan, l'exposition dévoile progressivement les plus belles heures du lieu à travers une ambiance littéraire, musicale et même foraine, le tout dans un souci artistique intimement soigné. Mais le contexte est également historique. Après 1871 et l'insurrection de la Commune, Montmartre suscite la peur comme l'envie, et ses cabarets sont des lieux de perdition pour artistes adulés-tourmentés. Une folle jeunesse, des envies de liberté et un renouveau créatif... Paris s'émancipe décidément. Et à mesure que la Butte devient l'incontournable Graal pour les intellectuels de l'époque, le Chat Noir, premier cabaret de la capitale, ouvre ses portes. Mieux encore, il les ouvre gratuitement !
Pourquoi "Le Chat Noir" ?
L'origine du nom reste floue et plusieurs versions sont évoquées. On raconte que le propriétaire du futur cabaret, Rodolphe Salis, aurait trouvé dans le lieu nouvellement acquis un chat errant, l'aurait recueilli un peu par hasard, et se serait inspiré de l'anecdote pour le nom de l'établissement. Dans un registre plus poétique, le Chat Noir pourrait également être une référence/clin d'oeil à Edgar Allan Poe et son ouvrage. Le mystère reste toutefois entier.
Un parcours à succès
Lors de ses débuts à la fin du XIX ème siècle, le cabaret est un lieu petit, doté d'une façade minuscule. Emblématique de Montmartre, il puise sa force dans le message (souvent insolent, toujours extravagant) qu'il véhicule et prend rapidement de l'assurance avec, dans un premier temps, la création du "Journal du Chat Noir", dont quelques exemplaires sont à admirer sur place, puis l'apparition de ses propres chansonniers (Aristide Bruant en tête, auteur de "La complainte du Chat Noir", hymne de l'établissement, Yvette Guilbert également). En adéquation parfaite avec les idées de sa clientèle, le café-concert, fort de son succès, ne tarde pas à déménager pour un endroit plus spacieux totalement dédié à la thématique du spectacle. L'état d'esprit reste le même cependant, avec une volonté de s'affranchir d'un public trop bourgeois et de créer une unité interactive à travers les images, la musique et les écrits. Le Chat Noir devient alors incontestablement "le cabaret le plus extraordinaire du monde".
À la découverte du lieu...
Le musée présente une importante collection d'affiches de spectacles, gravures et reliques (plus de deux cents). Certaines sont signées de grands noms tels Toulouse-Lautrec, Steinlen, Vuillard ou encore Willette et font aujourd'hui partie intégrante de l'histoire parisienne. Hautes en couleurs, modernes et frémissantes de mouvements, elles sont le symbole même du cabaret qui régnait en maître sur le Paris intellectuel et arty-bohême du début du XX ème siècle. Il faut imaginer un espace festif et déluré où le divertissement saluait la culture tandis que les nouveaux venus se plaisaient à croiser une clientèle d'habitués de renom.
Parmi les numéros les plus courus, l'exposition consacre d'ailleurs l'une de ses salles au théâtre d'ombres en couleurs et à son accompagnement musical signé Georges Fragerolle; un spectacle qui attirait le tout-Paris et bénéficiait d'une véritable publicité à grands renforts de livres, affiches et autres produits dérivés. Plus tard, et après moultes influences très plurielles au goût de music-hall (imitations, parodies, lectures, danse), c'est au tour du cirque d'être à l'honneur. Le Chat Noir s'adapte alors aux goûts de son public, toujours en perpétuelle évolution.
Et parce que je n'ai de cesse de m'enthousiasmer pour les petits détails insolites, j'ai apprécié lire les menus du restaurant (pouvoir dîner pour une poignée de sous, quelle joie !) tout autant que partir à la découverte de décors reconstitués des caf' conc' de l'époque, tels un bar en bois et zinc, un piano Pleyel ou encore un joli cabinet.
Autour du Chat Noir, les influences artistiques
Naturellement ancrée dans la folle ambiance des cabarets parisiens, l'exposition nous propose un détour par les plus connus d'entre eux: Le Moulin Rouge, les Folies Bergères ou encore l'Élysée Montmartre... Autant de lieux de la Belle Époque qui permettaient d'ôter le temps d'une soirée la barrière riches-pauvres et ainsi prôner un amusement nouveau et diversifié. On y croisait des littéraires, des saltimbanques, des poètes, des danseurs, des prostituées ou même de simples badauds. Un joyeux pêle-mêle que le musée de Montmartre semble avoir conservé intact par le biais de quelques objets symboliques (comme une paire de chaussons de danse) mais surtout de gravures et dessins dont certains sont d'ailleurs signés Toulouse-Lautrec. Ces derniers représentent des danseuses de Cancan s'exerçant tandis que l'on retrouve, en toute logique, un bel hommage à La Goulue et à son acolyte contorsionniste, Valentin le Désossé.
Une maquette de la Butte enfin, clôt le voyage et, dans le dédale de ses rues sinueuses, plante tant ses lieux de spectacles que les maisons où séjournaient les artistes d'antan. Nul doute alors que la Butte, souvent jugée et critiquée par ses contemporains, ainsi que ses cabarets décriés comme temples du mauvais goût, furent un tremplin énorme pour les courants artistiques qui devaient en découler, tous domaines confondus.
Mon coup de coeur de la morne saison est d'ores et déjà trouvé. Autour du Chat Noir nous entraîne dans une plongée poétique au sein de la Belle Époque et évoque toute la richesse intellectuelle d'une période en proie aux changements. À mi-chemin entre l'étrangeté d'un monde à facettes et un onirisme exacerbé, l'ambiance cabaret resplendit et témoigne tant d'une liberté apparente que d'une incroyable envie de nouveauté. Car de la réalité à l'imaginaire, le pas est vite franchi et les règles sont faites pour être déjouées. Alors, s'émanciper pour mieux créer ? Rien ne saurait être plus réel pour ces artistes en tous genres, dont les vies hors-normes narguaient vaillamment les bonnes consciences et ce, pour notre plus grand bonheur.
-Livy-