Des années de souvenirs: hommage à l'Elysée-Montmartre
La semaine du 14 mars dernier, forte de plusieurs concerts enchaînés au Trianon (Boulevard de Rochechouart - Paris 18ème), ce n'est pourtant pas faute d'être familière de ce quartier festif et témoin de quelques unes de mes plus belles soirées, mais passant quotidiennement devant ma salle chérie de l'Élysée-Montmartre, je me suis soudainement lancée, je ne saurais dire pourquoi, dans une tirade enthousiaste sur l'étrange aspect du bâtiment qui exerçait sur moi une réelle fascination, se voulant décalé et volontairement atypique, avec ses filets délabrés, sa végétation inopinée sur le toit et sa façade sculptée, comme emblématique d'un autre temps. Dans ma tête, l'édifice incarnait la toute puissance symbolique de l'Art et de la vie parisienne nocturne, ayant traversé, avec cette sorte d'aura mythique, les époques comme les influences. Un lieu à part, quelque peu underground et décidément riche d'un réel passé.
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Passablement mécontente alors de n'y avoir mis un pied depuis l'été 2010 (en mode "We are the 90's" depuis 2009 !), ni effectué un "vrai" concert après la fin de mes années étudiantes, je m'apprêtais, ravie, à réserver mes billets pour le fameux bal de l'Élysée-Montmartre, celui du samedi 26, évènement désormais culte où je me rendais de temps à autre et qui se déroulait toutes les deux semaines le samedi, animé par le célèbre GOLEM.
(Ndlr: Grand Orchestre de l'Élysée-Montmartre)
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Malheureusement, au petit matin du 22 mars 2011, le réveil sans le savoir encore, allait être bien brutal. Station de métro "Anvers" fermée pour quelques heures mouvementées. Y avait-il une raison valable à ce que l'une des premières journées de printemps se transforme, à peine l'aube entamée, en un gigantesque brasier pour LA salle parisienne mythique par excellence ?
J'ai appris la nouvelle par Facebook (les statuts de mes contacts sont de toute évidence bien plus efficaces que n'importe quel quotidien ^^) et ai d'abord pensé à un sinistre de moyenne ampleur qui serait vite maîtrisé. Il semblait évident que j'avais envie, dans un élan d'optimisme, de voir les choses ainsi et je ne m'en suis pas cachée. Mais la journée avançant, je n'ai pu ignorer d'avantage les gros titres qui évoquaient le court-circuit se transformant en incendie, sa propagation fulgurante jusqu'au toit, l'effondrement intégral de ce dernier, la perte quasi-totale des backstages puis, pour mon plus grand malheur, les dommages très importants causés dans la grande salle avec notamment la disparition totale de la scène.
Un seul réconfort mais pas des moindres ? L'absence de victimes.
Mais on ne peut hélas nier la malheureuse vérité: une matinée entière à lutter contre le feu et une centaine de pompiers parisiens environ à se relayer pour minimiser les dégâts, l'évacuation rapide des habitations de proximité, la toiture du Trianon partiellement touchée, un magasin de tissus adjacent quelque peu dégradé, le Boulevard de Rochechouart entièrement enfoui sous de sombres volutes, malgré un temps ensoleillé, ou comment ce mardi-là, la belle et majestueuse Élysée-Montmartre est partie en fumée.
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Cela fait bientôt deux semaines que le sinistre s'est déclaré mais c'était "notre" salle et comme des centaines et centaines de personnes, je le constate bien en voyant les réaction des internautes ou IRL, j'ai vécu avec une immense tristesse la perte soudaine de tant de souvenirs, à en être aujourd'hui encore toute retournée. Les vidéos de l'évènement et les photographies n'ont d'ailleurs pas aidé, toutes plus impressionnantes et angoissantes les unes que les autres, et je ne sais si les flammes gigantesques jaillissant dans le soleil matinal de l'un de mes édifices favoris au sein d'une opaque fumée furent pires que ce cliché tragique de la salle de spectacle, laissant deviner parmi un amas de gravats, ce qu'il restait du bar et du balcon, la lumière du jour s'engouffrant à présent à l'intérieur...
.Car, plus qu'une simple salle, L'Élysée-Montmartre est ce mythe qui nous plaît tant, et l'un des plus anciens lieux de spectacle de la capitale.
Créée en 1807 au pied du Sacré-Coeur, elle fut l'emblème de la vie artistique intense de la Butte, témoin des débuts du French Cancan avec, parmi les personnalités les plus connues, la Goulue (danseuse de cabaret immortalisée par le Moulin Rouge) et Valentin le désossé.
Salle de bal à l'ambiance effrénée et source d'inspiration sans limites pour le peintre Toulouse-Lautrec, elle apporta au 19ème siècle un souffle de vie nouveau et gorgé d'audace qui eu d'emblée le réel pouvoir de séduire et amuser à la fois, amenant avec lui cette sorte de fascination délicate qu'ont certains endroits au pouvoir inné.
Les écrivains Emile Zola et Guy de Maupassant en sont d'ailleurs de bons exemples car si le premier décrivit avec détails la façade dans son roman L'Assommoir avant d'y voir la 100 ème représentation jouée, le second utilisa la salle en guise de décor pour son Masque.
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Peu à peu, l'Élysée-Montmartre, symbole des revues, de la danse et de la chanson en mode "caf'conc", prit de l'ampleur et diversifia la qualité de ses spectacles et représentations, allant des bals masqués aux meetings politiques engagés.
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De la même façon, son apparence subit quelques modifications en même temps qu'un changement de propriétaire, et elle se vit attribuer pour l'occasion, une très belle structure Gustave Eiffel que réalisa l'architecte Edouard Niermans, peu avant le début du 20 ème siècle. Il s'agissait donc de métal travaillé que venaient combler des aménagements en bois et qui la rendit encore plus célèbre.
Mais coup de théâtre en 1900, un premier incendie causa la destruction partielle de la salle. Ceci étant, l'histoire fut vite résorbée, loin d'arrêter toute activité, et c'est à peu près durant cette même période que l'Élysée-Montmartre fut ornée de nouvelles décorations dans un style un peu rococo (moulures etc.) et très moderne pour l'époque.
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Dés lors, le changement apporta au lieu mythique en fin de deuxième guerre mondiale de nouveaux spectacles comme de jolis effeuillages (^^) mais aussi de la boxe et du catch. L'Ange Blanc et Le Bourreau de Béthune y auront notamment connu une belle notoriété.
Et si cette partie de l'Élysée-Montmartre ne m'était pas familière jusqu'à il y a peu, ce fut mon père qui éveilla ma curiosité, aussi touché que moi par le sujet. Quand je lui fis part de mon humeur chagrine, me souvenant que quatre jours après le sinistre, j'aurais du être en train de danser vaillamment au bal de L'Élysée, il me demanda très sérieusement si les sièges (avait-il bien mentionné des sièges ?) étaient toujours placés autour du ring. Je découvris ainsi et avec une joie non dissimulée qu'il avait beaucoup fréquenté l'établissement dans les 50's mais que tout comme La Cigale dont il était comme moi un habitué fidèle, nos souvenirs à propos des salles de spectacle étaient aussi divergents qu'enrichissants.
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Jusqu'aux 90's, L'Élysée-Montmartre poursuivit son chemin de salle culte de la capitale et vit se produire en son sein les plus grands artistes de l'époque (Jacques Higelin, Alain Souchon, Michel Polnareff...) en même temps que la mise en scène de nombreux spectacles (dont certains sur le fameux ring central) et ce, jusqu'à la présentation d'une opérette.
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Mais outre cet aspect "variété", elle devint surtout vers la fin des années 70's, un haut lieu du Heavy Metal et bascula avec brio vers une musique plus "underground", se tournant vers un répertoire puriste composé de groupes rock souvent peu connus en France et de jeunes artistes talentueux qui faisaient leurs premiers pas. Un côté novateur et en avance sur son temps, qui lui a valu l'approbation d'un grand nombre d'entre nous, et qui jusqu'à ces quelques derniers jours, étaient encore la marque de fabrique de l'édifice.
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Parallèlement, la façade de l'Élysée-Montmartre sur le Boulevard de Rochechouart, son retour sur la rue de Steinkerque et les éléments décoratifs de la salle de dancing ont été classés monuments historiques en 1988. On peut dans ce cas imaginer, car tel est bien là l'objet de la polémique actuelle dans la peur avérée que la salle devienne un bâtiment quelconque et totalement dénué d'âme, qu'une restauration en bonne et due forme devrait dans les mois/années à venir être IMPERATIVEMENT effectuée, avec des aménagements aux normes certes, mais qui respecteraient grandement l'état d'esprit de l'Élysée-Montmartre, telle que nous la connaissions avant l'incendie. Car souvent qualifiée de vétuste eu égard au côté "décrépi" qu'elle affichait solennellement et qui lui allait comme un gant, rappelons toutefois qu'elle subissait des contrôles en règle de la préfecture.
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En 1989, Garance Production reprit les rennes de la salle et poursuivit avec succès cette vague de concerts, d'obédience rock notamment, mais aussi rap et reggae, allant même jusqu'à organiser des mini-festivals, soirées étudiantes et autres évènements de la sorte.
D'un autre côté, le Bal de l'Elysée-Montmartre, toutes les deux semaines, apportait à la salle une tendance rétro qui tendait à un retour aux sources tandis que depuis 2009, les fameuses "We are the 90's" (que j'ai largement évoqué dans plusieurs billets de blog) faisaient fureur et amenaient avec facilité les 1200 personnes que l'édifice pouvait accueillir.
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Pour moi, et parce que ce billet-hommage possède évidemment sa part de personnel (si vous me trouvez sur la photo ci-dessus, chapeau bas !), l'Élysée-Montmartre fut tout d'abord mes débuts dans la capitale, 17 ans ou ma vie étudiante dans quelques m², un foyer universitaire, une colocation et plus que tout encore, mon envie de découvrir LES lieux incontournables. C'est ainsi que, me faisant traverser tout Paris, elle me conduisit pour la toute première fois jusqu'à elle un soir de 2000, une bière en main, lors du concert somme toute assez intimiste d'un jeune homme provocateur et au timbre de voix particulier nommé Damien Saez que j'allais revoir bien après, en 2005, sur la scène du Zénith de Paris.
Quelques années et des bars écumés plus tard, elle-seule fut capable de me donner mes plus beaux hématomes au doux parfum de nicotine (Vous pensez que fumer tue ? Eh bien les salles de concert à l'époque l'ignoraient encore ;-p) dans l'effervescence punk-rock des concerts de Millencolin et No FX (tous deux en 2002) et celui de No Use for a Name (date oubliée ?), dignes synonymes de pogos et autres slams !
Un peu assagie par la suite, le côté suranné de son bal me fit rêvasser doucement vers 2006 surtout, tandis que les dernières années accueillirent toutes nos photos et vidéos "dossiers" de la WAT 90's, dans la folie d'une salle qui était capable, se targuant encore et toujours de ses soirées parisiennes décalées, de nous offrir un sublimissime quart d'heure rock, à grands coups de Killin' in the name of (RATM, bien sur ^^).
Et si ces quelques raisons festives sont pour moi éminemment suffisantes pour sauver la salle de promoteurs immobiliers qui ne chercheraient qu'à retirer de l'évènement un avantage financier douteux (court-circuit accidentel, info ou intox ?), nul doute qu'un bon nombre d'amis, connaissances, inconnus ou artistes (à commencer par mon paternel très attaché à son ring ;-p) aient à partager eux-aussi d'improbables et nostalgiques souvenirs, et faire revivre par le biais de quelques tranches de vie, ce lieu de tous les arts, tellement unique.
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Sur ce post, et malgré les nombreux clichés pris ce jour-là, il ne figurera définitivement aucune illustration du sinistre ou de l'intervention récente du 22 mars dernier et ce, pour une bien simple raison: l'Élysée-Montmartre n'est pas morte. Méchamment endommagée et emportée l'espace d'une matinée au gré de sa destinée, elle est pourtant toujours là, bien debout et fière de l'être. Et si d'aventure, vous passez brièvement sur le Boulevard de Rochechouart, vous trouverez sa façade intacte, identique à celle que vous avez toujours connue, dans l'ordre volontaire donné aux pompiers de la préserver entièrement.
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Comme une évidence sous-jacente, on souhaite tous à présent, à l'image des mots encourageants prononcés par Daniel Vaillant, maire du 18ème arrondissement de Paris, la voir renaître de ses cendre et redevenir la salle culte que nous avons tant aimée et dans laquelle nous avons partagé quelques minutes, heures ou journées de nos fugaces existences. Car faire revivre notre jeunesse et notre belle insouciance dont une partie un peu secrète a sans doute été perdue, pour beaucoup, ce jour-là, à l'image de ce que nous étions, apparaît de la sorte bien plus intensément qu'un simple caprice ou de la vaine nostalgie...
Alors, pour tous ceux qui dans les concerts ont pris leur pied jusqu'à parfois même s'y blesser, pour les comblés, les déçus, les "en état d'ébriété" avancé, les déprimés en train de pleurer, les fous à lier, les "J'veux danser", les pogoteurs décidés, les qui s'y sont rencontrés, embrassés, querellés, séparés, réconciliés et tous les autres oubliés, une seule chose à faire... Laisser l'Élysée-Montmartre exister et s'élever plus haut encore dans la postérité !
CQFD.
-Livy-