Révisions cinématographiques printanières [1]
C'est un constat qui m'a sans doute un peu navrée en soi, mais les salles obscures n'offrant pas grand chose de très convaincant à se mettre sous la dent ces dernières semaines, je me suis dit que j'allais profiter de ce court laps de temps cinématographique pour revenir sur quelques longs-métrages qui ont rythmé mon début de printemps.
De l'émotion haletante au choc et du drame au sourire alors, il n'y avait qu'un pas, les surprises allant bon train, irrégulières et imprévues toutes autant qu'elles auraient pu l'être dans les meilleurs instants de mon imagination.
Et si mon récit se veut finalement aussi inégal et indécis que ces films sont différents, c'est pour mieux leur laisser garder cette personnalité de feu qu'ils ont chacun développés, tentatives plus ou moins abouties d'une somme de curieuses impressions et de perceptions uniques, de par leur style, leur approche et leurs sentiments.
*
Film choc
La Rafle de Roselyne Bosch
Ça parle de quoi?
"Été 1942. Joseph, onze ans, est juif et tente de trouver sa place dans un Paris antisémite. Il ne le sait pas encore mais va bientôt subir, avec sa famille et ses amis, la rafle du Vèl' d'Hiv où 13 000 juifs seront parqués, en attendant un sombre destin. Du Vélodrome d'Hiver au camp de Beaune-la-Rolande, de Vichy à la terrasse du Berghof, le film suit les destins réels des victimes comme des bourreaux. De ceux qui ont orchestré, ceux qui ont eu confiance, ceux qui ont fui et ceux qui se sont opposés."
Difficile ici de trouver les mots justes ou de retranscrire des émotions qui se mêlent et se perdent, tant le sujet est grave et le film courageux en soi. Poignant et terrifiant à la fois, on sait pourtant ce que l'on s'apprête à voir mais malgré tout, La rafle, en tant que tel, surprend vraiment. Ni documentaire, ni fiction, il est l'un de ces rares moments cinématographiques vrais, sincères et durs, qui parviennent à nous projeter d'emblée et sans fioritures, dans une accablante réalité. Pour sur, Le choc est violent oui, mais nécessaire. Douloureuse Histoire où la simplicité côtoie l'enfer, la cruauté, et la misère, à cet endroit même où le quotidien, l'entraide et la ruse ont rendez-vous avec la guerre.
Et puis il y a ce ton détonnant, presque enfantin mais toutefois audacieux, qui chemine tout du long, naïveté de ceux qui ne savaient pas ce qui se tramait. Ces personnages touchants, bulle de légèreté dans leur malheur, portés par un casting de talent.
Et enfin cette reconstitution au détail près, impressionnante dans son souci d'esthétique, qui marque les esprits autant qu'elle ne les effraie... Un ovni du cinéma somme toute, ou un moment à part, bouleversant devoir de mémoire, et qui se passerait bien de phrases inutiles, sauf que le film existe et qu'il sait s'imposer.
Car si l'on n'en ressort définitivement pas indemne, c'est qu'il ne s'agit pas d'un long-métrage comme les autres, énième du nom ayant pour trame l'antisémitisme de la seconde guerre mondiale, mais plutôt d'une tranche de vie restée dans l'oubli; l'histoire d'enfants et de familles, de personnes lambda, d'existences réelles et massacrées, qui nous emporte impuissants dans les tréfonds d'un drame. C'est ainsi d'ailleurs que crescendo, avec forces réparties et rythme effréné, La rafle sort du lot. Mais c'est ainsi également que le film en fait un peu trop. Les larmes coulent, les images chocs s'accumulent et l'aspect mélodramatique se fait sentir, parce qu'à vouloir tout dire, tout montrer et tout retranscrire, l'émotion en devient certes plus que palpable mais aussi un brin maladroite.
L'image de "spectacle" sur fond de cauchemar que de nombreuses scènes suscitent était-elle vraiment nécessaire pour accentuer le réalisme?
Toujours est-il qu'au carrefour où se mélangent politique, religion, faits réels et Histoire, le spectateur demeure plutôt confus face à un message tellement pluriel et condensé qu'il ne sait plus où donner de la tête.
Au-delà de ces quelques imperfections et parce que rien ne saurait être sans failles, La rafle n'en demeure pas moins un film à voir, édifiant comme il y en a peu, humain surtout, et qui permet d'apposer un souvenir définitif sur un évènement tragique de notre Histoire, bien trop passé sous silence, sans photographies ou presque pour le mentionner.
Un film excessif, explosif et passionné, mais qui le fait bien.
Le genre de film sensible à voir... une fois. Du moins pour moi.
.
Coup de cœur
Une éducation de Lone Scherfig
Ça parle de quoi?
1961. Jenny est une jeune anglaise de seize ans, brillante élève qui se prépare à intégrer Oxford. Sa rencontre avec un homme deux fois plus âgé qu'elle va tout remettre en cause. La sage jeune fille découvre alors peu à peu la vie, l'amour, le tumulte, les voyages, la passion... Dans cette confrontation des sentiments, elle va devoir choisir enfin son existence."
Définitivement film coup de cœur de ce début de printemps, Une éducation nous emporte illico dans une ambiance de charme, british, enivrante et so 60's, qui lui sied à merveille, de sa bande-son nostalgique à ses tenues affriolantes, de sa poésie timidement artistique à ses divertissements follement oisifs, et mérite rien que pour cette simple raison un très bon point.
Paradoxe ambulant d'autre part, le film est avant tout une petite merveille de subtilité qui joue sur la corde sensible de l'adolescence et de ses tourments avec une aisance désarmante.
Psychologiquement fort bien abouti et jamais séparé d'une certaine finesse d'esprit, il se plaît à hésiter, tâtonner, se perdre même, dans quelques maladresses volontaires, à l'image des tribulations de son adolescente effrontée. La jeune Carey Mulligan d'ailleurs, bien loin de jouer les pâles copies de la Lolita de Nabokov et de se laisser prendre au risque d'une certaine linéarité parvient, au moyen d'un scénario pourtant maintes fois remis au goût du jour, à transcender en quelque sorte son personnage, rendant l'apprentissage fluide et joyeux, instinctif et périlleux. Autant d'exercices de style qui mèneront la jeune fille de l'enfance à l'âge adulte avec cette drôle de légèreté certes insouciante mais singulièrement grave, qui ne fait qu'accentuer le réalisme du propos.
Ainsi, derrière quelques sentiments exacerbés d'amours de jeunesse et de désespoirs vite oubliés, le tout retranscrit avec une jolie sensibilité, le parcours initiatique dévoile quant à lui une certaine critique de la société, non sans un cynisme élégamment dissipé au sein de l'ensemble, et qui transfigure d'emblée ce film surprenant mais sans prise de risques excessive de prime abord, en lui conférant une certaine grandeur.
Tantôt mélancolique, tantôt désillusionné mais toujours juste, Une éducation porte en fin de compte un regard plein de recul sur une tranche de vie emportée dans les conventions sociales, et nous y guide avec grâce, malgré une finalité somme toute assez naïve et un brin décevante qui, tranchant avec le reste, se laisse hélas aller aux codes cinématographiques des belles histoires qui finissent bien...
.
A voir
Shutter Island de Martin Scorsese
Ça parle de quoi?
"1954. Un marshal et son
coéquipier sont envoyés sur l'île de Shutter Island, dans un hôpital
psychiatrique qui abrite de dangereux criminels afin de retrouver
Rachel Solando, une patiente du lieu, qui a mystérieusement disparu. Il
faudra dés lors se lancer à sa poursuite, avec le peu d'indices que la
meurtrière a laissé derrière elle..."
Effrayant, percutant, bien construit et jouissif.
Tels sont les premiers mots qui me viennent à l'esprit pour cet excellent Scorsese, porté par un scénario aussi haletant que surprenant, et qui parviendra à maintenir intact son suspense tout du long pour nous donner, coup d'éclat, une fin magistrale.
L'harmonieux mélange entre une ambiance à la Hitchcock et un thriller psychologique, certes complexe mais très bien ficelé, s'effectue donc sans heurts et nous emmène avec passion dans ce monde étrange et sombre qu'on n'a somme toute, plus envie de quitter, ou du moins la vive éventualité d'y retourner très vite...
Les différents degrés de lecture du film suscitent en effet l'étonnement avec brio tandis qu'ils soulignent nos possibles interprétations, laissant alors l'intrigue ouverte, mais toujours intelligemment. Il reste à préciser également que le jeu de Léonardo DiCaprio y est pour beaucoup car l'acteur de Titanic, ici énigme à lui tout seul, impose une véritable présence, un charisme évident et de surcroît, un personnage sans failles dans sa tourmente, qu'il explore avec force conviction.
Ainsi, loin d'être creux dans son histoire (il est à préciser que je n'avais pas lu le livre au préalable et qu'il me faut remédier à cela au plus vite), le côté esthétique du film n'en est pas moins relégué au second plan et Shutter Island, long-métrage très complet, se présente alors sous un tout autre angle, avec des prises de vue recherchées qui accentuent et exacerbent émotions et rebondissements à foison dans un visuel détonnant.
Multiplications en chaîne de sursauts et autres moments angoissants dignes des meilleurs films d'horreur, le dernier-né de Scorsese joue de ce fait sur tous les tableaux, se démarquant tout autant par sa portée intellectuelle évidente que son habile mise en scène à laquelle il serait difficile de trouver à redire. En bref, un film un quasi sans-fautes, téméraire et à grand spectacle, tels qu'on les aime au cinéma.
.
Session rattrapage
L'affaire Farewell de Christian Carion
Ça parle de quoi?
"Au début des années 80, Moscou est en pleine guerre froide. Sergueï Grigoriev, un colonel du KGB, décide de
faire tomber le système. Il prend contact avec un jeune ingénieur
français en poste à Moscou, Pierre Froment. Les informations extrêmement confidentielles qu'il lui remet ne tardent pas à intéresser les services secrets occidentaux, inquiéter les chefs d'état, et le gigantesque réseau d'espionnage à l'égard des pays de l'Ouest est ainsi mis en place progressivement. C'est ainsi qu'homme sans histoires, Pierre Froment se retrouve malgré lui précipité au cœur de l'une des affaires les plus stupéfiantes du XXème
siècle. Une affaire qui le dépasse et qui menace bientôt sa vie et
celle de sa famille..."
Que dire? L'affaire Farewell est à première vue un film plutôt
réussi, à la mise en scène intéressante et aux évènements (réels)
traités avec subtilité. Cependant, il n'en demeure pas moins un mystère pour
moi, qui l'ai regardé sans ennui certes, mais sans plus de passion. Et
si l'intrigue sait garder le suspense quand il le faut et trouver une
réelle connivence dans le duo Kusturica/Canet, point fort du long-métrage, l'histoire, semble-t-il,
ne parvient pas vraiment à décoller, malgré des dialogues d'une finesse
incontestable et des rebondissements dans l'affaire qui paraissaient de
prime abord prometteurs.
Décors peu accrocheurs, ambiance austère plutôt que sombre et rythme
parfois poussif, on aurait bien envie d'une bonne scène d'action et d'un peu d'adrénaline -le
terrain étant propice à cela- quand le réalisateur joue à merveille la
carte de la réflexion intimiste. Ainsi, oppressant et psychologue, L'affaire Farewell
est finalement plus marquant par l'intensité des relations de ses
personnages que par le vif du sujet, et dans un sens, c'est un peu
dommage bien que compréhensible.
D'un
point de vue plus technique, rien à redire. Le traitement de cette époustouflante histoire d'espionnage est excessivement précis et propre, fidèle également au contexte historique, et l'on ne peut le condamner, objectivement parlant. La trame est consistante, posée.
Bref, elle tient la route sans sourciller. Mais à bon entendeur, si le scénario parvient
suffisamment à attirer l'attention pour nous garder concentré du début à la fin (encore
heureux...), il
n'incite pas cependant à rester ancré dans les esprits. Le film manque
de piquant et l'atmosphère pesante lasse trop vite. Il en résulte de ce
fait du
bon cinéma d'espionnage d'introspection, mais se perdant entre le
thriller et le film d'auteur psychologique, le genre ne semble pas défini et L'affaire Farewell, histoire évidemment captivante comme on pourrait le supposer, est loin de se trouver transcendée ici.
Ce ne sera pas enfin tant la lenteur qui m'aura gênée que l'aspect
linéaire, très sage voire limite scolaire, d'un film qui aurait bien
mérité un bon coup de fouet pour avancer.
Mi-figue mi-raisin, neutre, bof, etc, je me serais vraiment attendue à mieux mais reste malgré tout sous le
charme de deux acteurs dont l'interprétation porte l'ensemble intelligemment, dans une sobre pudeur dont on leur sera gré.
-Livy-