Charles Marville: Paris photographié au temps d'Haussmann
Si l'évocation du mot "Paris" vous parle, que la photographie vous colle à la peau, et que vous souhaitez découvrir de notre capitale jusqu'à ses moindres secrets, quelques mots sur une exposition gratuite des plus surprenantes ne seraient pas de refus alors, le temps de vous donner l'envie d'aller y faire un saut...
Paris photographié au temps d'Haussmann se déroule en ce moment même au Louvre des Antiquaires et, bonne nouvelle, est prolongée jusqu'au 1er novembre prochain, répondant à un succès évident de bon nombre d'entre nous.
.
L'exposition est plutôt rapide et tient en une seule salle mais son contenu (d'une trentaine de clichés environ) n'en est pas moins instructif et captivant.
Elle évoque, par le biais de la photographie, un Paris disparu, inquiétant et désertique, sorte de carte postale de charme emblématique qu'on vendrait bien sur les quais de Seine, et qui se révèle peu à peu derrière l'objectif acéré de Charles Marville.
Ce dernier fut en effet chargé par la ville d'immortaliser les rues de Paris vouées à disparaître, juste avant le commencement des travaux d'assainissement dirigés par Haussmann, et a mené à bien sa besogne en plein coeur de la capitale, entre 1852 et 1877, endroit où se trouve précisément aujourd'hui le Louvre des Antiquaires.
.
.
On y découvre ainsi, au travers de clichés d'un autre temps et de quelques citations (La Curée ou Le ventre de Paris d'Emile Zola, par exemple), le quartier des Halles-Rivoli, l'Hôtel de Ville incendié pendant la Commune puis sa reconstruction, ou encore le tracé de l'avenue de l'Opéra. L'occasion rêvée de se faire une idée nouvelle de notre Paris bien familier et de parcourir, à mi-chemin entre l'imaginaire et une réalité passée, un lieu inconnu et chaotique.
Sombre ou coupe-gorge dans ces impasses étroites. Inquiétant voire même insalubre.
Et exclusivement parsemé de petites ruelles sinueuses qui justifient à merveille les descriptions de tant de romans...
Beaucoup d'émotions mêlées alors qui se traduisent également au moyen de cliché chocs tels le début de la démolition des Halles de Baltard et alentours, ou encore l'intérieur de l'Hôtel de Ville incendié avec sa salle de bal détruite, noircie et assaillie par des montagnes de gravats, photographie qui m'a le plus marquée, sans aucun doute.
.
.
Il en ressort un voyage caché, comme une énigme. Une période tourmentée et enfouie à tout jamais sous le poids d'un modernisme qui ne fait qu'accroître, véritable tableau d'une ville en mutation que l'on se prend soudain à apprivoiser et à connaître, en suivant l'évolution de son architecture, de son histoire et de son urbanisme.
Et si le jeu à reconnaître où se situe quoi, aidés par un plan explicatif de la ville d'hier et d'aujourd'hui, est une sorte de chasse au trésor de chaque instant pour tout citadin qui se respecte, force est d'admettre que ce Paris là, passablement méconnaissable, présente, outre l'aspect d'une prime curiosité, un évident parfum d'étrangeté.
.
.
En cela réside sans doute l'intérêt principal de l'exposition puisqu'elle lève le voile, en même temps qu'elle nous présente des photographies symboliques de l'histoire de la ville, sur l'un des mystères entêtants qui heurte dés le début le visiteur observateur.
Les clichés, tous en noirs et blanc naturellement, sont en effet singuliers de par leur brume épaisse et répétée, et plus encore par l'absence presque obsédante de figurants ou de trace de vie aussi infime soit elle, à l'exception de quelques personnages tapis dans les coins.
N'y avait-il donc à Paris en ce temps là aucun passant, aucune voiture et un hiver permanent?
La réponse est évidemment négative. A y regarder avec plus d'attention et le souci du détail, des silhouettes se distinguent vaguement dans le brouillard et l'on aperçoit des traînées de voitures, comme effacées ou gommées, laissant jaillir alors cette sorte de flou grisâtre qui semble s'être emparé d'un bon nombre de ces photographies.
Mais l'explication se trouve un peu plus loin:
"Novatrice à l'époque, la technique photographique du calotype qu'il (ndlr: Charles Marville) utilisait ne permettait pourtant pas encore de capturer le mouvement. D'où l'impression d'un Paris fantomatique et désertique. Mais en y regardant de plus près, on devine de mystérieuses traînées blanchâtres et étirées: il s'agit en réalité de la trace des voitures et des passants qui grouillaient dans les rues de Paris."
C'est donc un fait. La technique d'antan ne permettant pas au mouvement d'être fixé, apparaître de façon nette sur une photographie de l'époque était en quelque sorte un miracle d'immobilisme! Et une fascinante découverte pour la néophyte que je suis qui ignorait tout de cela jusqu'à ce jour et qui s'interrogeait au fil des clichés, l'air perplexe...
.
Ainsi, il ne me reste plus qu'à apposer le mot "fin" sur ce léger billet, en espérant vous avoir convaincu d'y mettre les pieds pour la curiosité, l'étrangeté... la gratuité? ^^
Et de vous accorder ce moment hors du temps en compagnie d'un Paris disparu qui vous fera voir votre vie citadine sous un autre angle où le passé romanesque a des airs de réalité et où les faits divers prennent de l'ampleur comme de l'intérêt.
Oui, un autre Paris a bel et bien existé. Différent. Étonnant.
Mais on ne le dit pas toujours assez et ces clichés rarissimes sont là, aujourd'hui, pour nous le rappeler. Vous avouerez que ce serait dommage alors de passer à côté de cette petite mine d'or à tout jamais dissimulée que l'on foule chaque jour de nos pieds, tout en continuant de l'ignorer?
-Livy-