Duo de lecture sur mon hamac ensoleillé
Une fois la période estivale bien établie, j'aspire dans ma vie à autant de légèreté que de poésie et mes lectures notamment me guident en douceur sur ce chemin au doux parfum d'évasion.
Elles m'invitent à me confondre dans de délicieux instants de rêve, négligeant toute forme de contraintes pour m'adonner au plaisir simple de suivre des yeux les mots qui défilent tant qu'ils en finiraient presque par danser.
C'est dans cet état d'esprit singulièrement intimiste que bercée par une lointaine mélodie littéraire, j'aborde quelques nouveaux ouvrages des plus plaisants, certes bien courts mais non moins pertinents, et que j'avais précédemment mis de côté pour mieux les laisser se faire désirer...
Leur pouvoir de séduction me rattrapant cette fois de plein fouet, ce pourrait alors être comme un long dimanche ensoleillé qui n'en finirait plus et me laisserait le temps nécessaire afin de mettre, pour quelques heures, mon existence entre parenthèses et ne respirer qu'au travers du chant de frêles tournures de phrases.
Je m'endormirais ainsi au sens réel comme au figuré, l'esprit agréablement embué, nichée dans le hamac de ma liberté.
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Le chef-d'oeuvre inconnu de Honoré de Balzac
Balzac, que l'on connaissait dans un tout autre registre littéraire, nous emmène au moyen de cet ouvrage pourtant très court à la découverte de l'Art et de ses mystères et nous livre à ce sujet une réflexion bien plus philosophique qu'elle n'y paraît de prime abord, rendant la thématique à la fois subtile et complexe.
L'Art... Un sujet vaste et sinueux à souhait, sombre danger littéraire sur lequel il aurait pu perdre toute cohérence et crédibilité, mais qu'il a su percer à jour avec une habileté évidente en s'interrogeant d'une façon des plus pertinentes, le temps de cette nouvelle trop peu évoquée de nos jours et pourtant fortement éloquente.
Le but de l'ouvrage était en effet de faire une étude approfondie de la création artistique en même temps que de l'imaginaire qui par le biais d'une sensibilité non feinte y figure d'emblée.
Ainsi, Balzac, tout en relatant l'histoire tragique et captivante d'un peintre méconnu répondant au nom de Frenhofer, s'applique et se plaît avec minutie à disséquer l'envie parfois vaine d'atteindre un absolu tout autant que les limites de la créativité et nous dévoile, exemples et citations à l'appui, une argumentation réfléchie et bien établie de son côté opposant l'art abstrait à l'art figuratif.
Quoi de plus passionnant alors que de se laisser bercer par des questions qui se perdent et s'affrontent autour du sulfureux domaine de l'art, plus précisément celui de la peinture, et de ce qu'il engendre.
Serait-ce donc cet art si puissant qui transcende l'Homme ou bien l'Homme qui se laisse porter par ses idées jusqu'à ne plus les dominer et ne plus en percevoir une éventuelle frontière?
Tour à tour, et à travers les personnages de Poussin ou encore de Porbus, il évoque l'artiste comme un génie créatif indéniable mais également comme un être humain non dépourvu de contraintes et d'aléas, de failles et de défauts, bridant ainsi son art de nombreuses possibilités et lui imposant des craintes et des angoisses multiples.
Il y a de surcroît dans Le chef-d'oeuvre inconnu cette dualité infernale où le drame pour l'artiste de pas avoir la reconnaissance escomptée côtoie la magie de la créativité en elle-même et parfois, son accomplissement mais si le tragique dénouement de cet ouvrage est toutefois palpable et s'offre à nous doucement, dans la tristesse d'un tableau qui se perd à jamais, la passion qui l'anime demeure quant à elle intacte.
Une nouvelle fort intéressante donc, qui se dévore en une petite heure sans doute mais dont la relecture est aussi savoureuse que nécessaire, questionnement philosophique oblige, et qui n'implique pas forcément des réponses bien abouties mais au contraire nous amène à soulever d'autres débats.
Bien au-delà du résumé de l'histoire en tant que telle, la réflexion intense dégagée par cette oeuvre hors du commun nous laisse rêveur et pensif, en quête d'un absolu qui à défaut de pouvoir se montrer réel sous tous les angles, se pose là comme une sorte de Graal, magique ou improbable, pour le peu qu'on ait dans l'âme cette verve créatrice, aussi infime soit-elle.
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Histoire d'un merle blanc de Alfred de Musset
Quoi de plus agréable que de débuter l'été au moyen d'un ouvrage qui de la manière la plus ludique qui soit, fonctionne purement et simplement sur le principe même de l'allégorie et dévoile, sous ses aspects de "vilain petit canard" de merle blanc, une critique réfléchie quoique acerbe de la société, sur fond de vérité des moeurs de l'époque.
Agréable à lire, léger en apparence, accessible aux plus jeunes d'entre nous de par son double sens, le livre n'en est pas moins une grande bouffée d'émotions souvent lourdes de conséquences et se prend au jeu de faire l'analyse poussée des relations humaines, apportant à l'ensemble une réelle profondeur agrémentée d'une caricature aussi délicate qu'incisive dont on ne finit plus de se délecter.
Ces personnages animaliers et autres noms d'oiseau sont en effet tout autant de personnalités vaines et de comportements humains répréhensibles qui prêtent à sourire de prime abord mais laissent planer la noirceur d'un monde que l'auteur ne cautionne guère.
De plus, Musset joue ici la carte de la transparence en usant d'une figure de style des plus aisées à percevoir et il le sait bien. Il se plaît ainsi à triompher de ses congénères comme des mots avec l'idée-même de se faire comprendre rapidement, caché sous une fragile couverture mais des plus poétique néanmoins.
Cependant, avec le savoir-faire et la sensibilité qu'on lui connaît, le poète s'ouvre totalement à son lecteur ici pour lui insuffler par le biais de quelques phrases les affres de la souffrance et des tourments qui cette fois lui sont bien personnels et tendent à une douleur éternelle, en rapprochement avec sa relation malheureuse avec l'auteur George Sand.
En effet, s'il généralise dans un premier temps le mal-être assimilé aux poètes et pose d'emblée le sempiternel dilemme de la différence que les "autres" n'acceptent pas au sein de conventions sévères, questionnement hautement intéressant de surcroît, il en revient finalement à sa propre condition, non pas dans une volonté d'égoïsme latent mais plutôt par envie de partage.
C'est ainsi qu'il se confie comme il s'épanche et la caricature joyeusement acide devient soudain autobiographie tandis que la réflexion abordée s'embrase de crédibilité.
La fable littéraire s'en retrouve transcendée et porte avec finesse à travers le regard de son auteur, un avis sur ce monde qu'il ne comprend décidément plus, quand dans la tourmente, la sensibilité à fleur de peau devient une arme fatale pour un ouvrage certes mineur dans l'oeuvre de Musset, mais à ne pas omettre de lire pour autant.
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Courtes sont mes lectures d'été,
Pourvu qu'elles me poussent à autant de réflexion
Et m'emportent dans un élan de sensibilité,
Sur la plage ensoleillée de mon balcon...
-Livy-