Du côté de Picasso et de ses maîtres
En flânant un peu du côté du Grand Palais un vendredi 2 janvier (et surtout après pas loin de deux mois de réservation pour l'exposition), c'est à un début d'année 2009 culturel, captivant et hautement coloré que j'ai eu droit, à l'image de ce peintre de génie qu'était Pablo Picasso.
Imaginez-vous donc les Champs-Elysées un soir d'hiver, un froid sec qui laisse deviner derrière lui quelques flocons de neige tombés en matinée, de jolies lumières bleutées dans les arbres... et ma soirée passée en mode "Nocturnes du Grand Palais", le temps d'aller voir de plus près cette exposition-phare qui ne cesse de faire parler d'elle depuis son ouverture, très médiatisée, en octobre dernier.
Un contexte absolument parfait pour s'engouffrer au milieu de la masse à butiner de tableaux en tableaux, se réfugier au détour de salles bien chauffées et se laisser aller à apprécier des oeuvres aussi intemporelles que subliminales...
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Pas de déception à la clé donc, malgré une foule très compacte, on l'aura deviné.
Les premiers pas sont un peu pénibles certes, la masse des audioguides s'amoncelle tout autour des oeuvres en un tas groupé, les visites-conférences gagnent également la surface à grand renfort de personnes âgées mais petit à petit, tout ce beau monde se disperse et se perd au détour d'un tableau ou d'un autre, les salles se désengorgent, l'exposition se fait de plus en plus vaste et la magie peut enfin opérer.
Les premières salles achevées, cela m'apparaît bientôt comme une évidence: l'évènement en lui-même est tout simplement exceptionnel. Il a réussi le pari fou de regrouper à lui tout seul une multitude d'oeuvres d'une immense valeur et leur réunion, somptueuse, les transcende au sein de cette exposition hors-normes qui n'a de cesse de défier la chronique.
C'est évidemment un délice pour tout amateur d'art qui se respecte où les collections privées côtoient celles de musées prestigieux à l'échelle internationale, où des oeuvres éminemment connues s'offrent à nos yeux ébahis et où l'on se plaît à découvrir ou redécouvrir quelques deux cents tableaux emblématiques de Picasso ou des peintres de renom qui l'ont inspirés.
Une véritable petite merveille d'analyse artistico-psychologique de l'oeuvre du peintre à travers ses différentes et troublantes périodes, le tout traité avec une pertinence et une subtilité exquises afin de mieux ressentir l'intensité tourmentée dont il a pu s'imprégner au cours de sa vie artistique, sa volonté d'originalité, son soucis de perfection et sa perception complètement à part de l'animé comme de l'inanimé.
En fonction des salles parcourues, différentes thématiques, aussi
nombreuses que diversifiées, sont abordées (parmi elles, on notera la
variation très connue de Picasso sur les Ménines de Vélazquez,
les portraits, les natures mortes, les nus, quelques études et bien
d'autres encore...) dans lesquelles les oeuvres du peintre sont mises
en parallèle avec celles de ses maîtres, tableaux exposés côte à côte,
impressionnante comparaison la plupart du temps, dans un souci de
compréhension et d'interprétation vis à vis du spectateur.
Et si les
influences multiples sont évidemment bien représentées ici, c'est pour
mieux intégrer le monde imaginaire et artistique d'un Picasso aux
ressources insoupçonnées qui s'est appuyé comme aucun autre auparavant
sur le passé afin d'en faire jaillir par un coup d'éclat tout l'aspect
novateur et complexe de son oeuvre personnelle dans un grand élan de
modernisme, grand paradoxe de son "être" d'artiste, à mi-chemin entre
un hommage aux peintres du passé et à ses envies de nouveauté, comme
des pulsions intarissables...
En effet, l'exposition ne serait rien si elle ne confrontait pas notre peintre à "ses maîtres", la thématique-clé qui nous embarque ainsi dans un voyage féérique défiant toutes lois temporelles.
Les maîtres en question, aussi nombreux que variés, se dévoilent tableau par tableau au fil des
salles, par petites touches qui nous ensorcellent tant
par le détail, le jeu d'ombres et de lumières de certaines oeuvres que
par l'aspect novateur qui pouvait s'en dégager à l'époque.
Ils
s'étalent du côté espagnol de Vélazquez à Goya en passant par José de
Ribera ou encore Zurbaran, se nourrissent en France des influences de
Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Ingres ou Manet et se laissent finalement
apprivoiser par Picasso qui les remanie, les transforme, les interprète
à sa façon, nourrissant ainsi son oeuvre d'une touche de génie
supplémentaire.
Il se retrouve alors exposé, mis à nu dans sa façon de travailler et surtout confronté à ceux qui l'ont tant inspiré de près ou de loin. Et c'est de la sorte que les toiles de Picasso et de ses maîtres se lient pour mieux se différencier et se donnent ainsi la réplique, atout charme de l'exposition, dans une sorte de jeu artistique un peu irréel qui amuse le spectateur autant qu'il le surprend.
Le résultat est probant et plus encore.
Rien n'est laissé au hasard et tout a été conçu pour faire de cette
exposition un évènement culturel de grande ampleur, ce que j'entends
par là concernant d'avantage l'aspect artistique pur plutôt que le côté
médiatique, bien trop souvent évoqué déjà.
Impeccablement mis en scène au moyen d'un parallélisme soigné et étudié.
Pensé et repensé, j'imagine et mêlant habilement l'art en lui-même à une psychologie bien spécifique, sorte de procédé unique que Picasso s'est plu à explorer, détournant alors ses "maîtres" et assumant le tout dans un tourbillon de formes et de couleurs aussi imprévisibles qu'incandescentes.
Cependant, l'exposition à proprement parler requiert à mon avis une certaine maîtrise de l'oeuvre de Picasso et quelques connaissances à son sujet avant même d'aller y pointer le bout de son nez. Il n'est pas question ici de retracer tout son parcours bien établi chronologiquement ni d'évoquer point par point toutes les périodes le concernant ou les phases qu'il a pu traverser, par simple souci biographique.
Or, la psychologie qui émane de Picasso et les Maîtres et ses comparaisons/inspirations hallucinantes sont surtout valables à partir du moment où l'on s'est déjà intéressé au préalable à la vie du peintre et à son évolution artistique pour le moins surprenante et plurielle (collages, sculptures, tableaux...).
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Une bonne raison finalement de s'offrir un petit voyage inopiné en Espagne pour découvrir d'une part le Musée Del Prado à Madrid et d'autre part le musée Picasso à Barcelone, de trouver le temps au passage (et parce que c'est plus près) de jeter un coup d'oeil à notre [Musée Picasso] parisien ou de se documenter un brin sur la richesse de l'oeuvre d'un homme hors du commun, tout simplement...
L'exposition du Grand Palais n'en sera alors que plus belle.
-Livy-