La saga Mesrine au cinéma
Si la programmation des cinémas ces dernières semaines ne m'avait que très moyennement convaincu, me poussant du même coup à ne pas en toucher mot dans ce blog, j'ai cependant trouvé une petite lueur dans les deux films réalisés par Jean-François Richet sur la vie du gangster français Jacques Mesrine.
Stressant, inhumains et délicieusement bien filmés, je me suis en effet retrouvée face à deux petites merveilles de deux heures chacune, mêlant habilement réalisme et film d'action, avec toujours cette dérision décidemment plaisante, le temps de choquer un brin, marquer les esprits pour de bon et redécouvrir l'histoire de cet homme dont la vie et plus encore la mort, avaient tant fait jaser.
Sans jamais prendre parti et c'est un point fort, chacun des deux volets se révèle ainsi à sa manière, tantôt brutal, tantôt psychologique, dans une course effrénée qui s'inspire fortement, en gardant toutefois une subjectivité évidente, d'ouvrages écrit par Mesrine lui-même lorsqu'il était en prison.
Servis par des acteurs de haut talent dont l'interprétation est difficilement contestable (Vincent Cassel dans le rôle principal est d'une crédibilité incroyable), les films qui, sortis à un mois d'écart dans les salles obscures se suivent sans se ressembler, désarçonnent comme ils surprennent au fil des minutes et laissent un goût de poudre derrière eux.
Palpitants. Cruels. Explosifs.
Exquis.
Alors, à mi-chemin entre une image véhiculant un certain idéal de liberté et le portrait d'un homme que tout semblait pousser au crime, pourvu que la société en pâtisse, le spectateur se retrouve plongé dans une rétrospective aussi violente qu'émotive, furieuse que palpitante et jamais au grand jamais, n'y reste indifférent...
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Mesrine, L'instinct de mort
Le premier volet, dirigé d'une main de maître à une allure désarmante, est tout simplement une bombe, petite merveille de réalisation qui n'est pas sans rappeler quelques grands films de gangsters américains.
Nous plongeant illico dans l'ambiance du grand banditisme des années 60 (effet garanti), il provoque d'emblée sur le spectateur l'effet d'un électrochoc qui va perdurer deux heures durant, nous laissant ainsi une étrange sensation au creux du ventre.
Speed, fluide et doté d'une violence plus qu'explosive très proche d'une ambiance à la Scorsese, on y suit avec avidité le parcours et l'évolution d'un Mesrine impulsif, tête brulée et prêt à tout qui, dépeint dans toute la complexité de son être, sait se montrer tour à tour sarcastique, sombre ou ironique, la fougue de la jeunesse en prime. Bien souvent borderline également, on le voit osciller à la frontière angoissante entre l'être humain et le monstre de cruauté, vil et odieux.
Les faits, les anecdotes, les différents protagonistes se suivent à un rythme endiablé qui décontenance autant qu'il suscite de l'intérêt, dans un état d'esprit assurément réaliste. La mise en scène est brutale certes, saccadée parfois aussi, mais excessivement bien amenée, notamment par le biais des personnages secondaires (Gérard Depardieu, Gilles Lellouche, Cécile de France...) qui apportent à l'ensemble un certain équilibre, une certaine légèreté oserais-je même ajouter, qui dénote avec le scénario et son héros. Et c'est ainsi que dés la première minute, on se prend au jeu...
Braquages, cavales incessantes, magouilles douteuses et rencontres hasardeuses... On se croirait au cinéma pour de bon mais les faits sont pourtant avérés. Et si le film fait malheureusement l'impasse sur quelques moments de la vie de Mesrine ou en évoque d'autres un peu trop brièvement, adaptation cinématographique oblige, il s'en sort cependant avec brio, gardant l'essentiel et soulignant les points forts, enchaînant ainsi les évènements au moyen de transitions habiles.
Il en résulte un long-métrage haletant et sans longueurs où l'on ne s'ennuie à aucun moment.
Quant à notre "anti"-héros Jacques Mesrine en personne, campé par un Vincent Cassel au sommet de sa forme qui s'adapte au personnage dans une sorte de schizophrénie un peu magique, il représente à lui tout seul un véritable paradoxe dont la violence sous-jacente et le caractère hors-normes touchent autant qu'ils dégoûtent un spectateur décidemment partagé sur sa façon de penser, entre admiration et animosité oppressante.
C'est finalement au Canada, après l'épisode coup de poing des QHS et l'impressionnante évasion du gangster et de l'un de ses alliés que s'achève ce premier volet, aussi sombre que jubilatoire.
Et l'on en ressort halluciné et secoué par tant de force.
Du grand art pour un film décapant.
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Mesrine, L'ennemi public n°1
Même cause, mêmes effets. A l'image du premier film, l'entrée en matière dans celui-ci est immédiate.
Pourtant, d'emblée, on sent bien que ce second opus voué à clore la biographie de Mesrine sera vraiment différent.
D'avantage posé et réfléchi, il casse d'un coup l'image de films d'action si représentative du premier volet afin de donner à l'ensemble un côté bien plus psychologique, à la fois inquiétant et captivant, que L'instinct de mort ne comportait pas. Et s'il suit chronologiquement l'histoire du gangster, pluie de détails et phrases savoureuses à l'appui, c'est pour mieux s'adapter à son personnage, son âge, son évolution et ainsi en dégager la quintessence.
En effet, le film perd certes quelque peu ses allures de courses poursuites effrénées (quoique) mais il y gagne en intensité, développant alors un côté pathologique effrayant au fur et à mesure que l'instinct meurtrier de Mesrine prend le dessus et que la haine s'empare progressivement de son être.
Un côté passionnant de la personnalité du gangster qu'il aurait été dommage de voir passer à la trappe et qui se révèle ici, exploré dans toute sa splendeur, tandis que notre héros excelle tant par son assurance que son humour.
C'est évidemment un atout important du film:
les joutes verbales y sont tout bonnement exquises.
Les phrases "cultes" de Mesrine, ses mots incandescents et expressions ont été rapportés intactes et viennent assaillir le long-métrage pour mieux le transcender. Vincent Cassel, quant à lui, les fait revivre avec un jeu toujours aussi bon et une authenticité surprenante. Alors on se prend à sourire lorsqu'il se fait narquois, à s'indigner lorsqu'il ironise et le contenu, sublimé par des personnages secondaires tout aussi percutants que dans le premier opus (Ludivine Sagnier, Mathieu Amalric...), n'en est que meilleur encore.
On n'oubliera pas notamment la fameuse scène où Mesrine, arrêté par le commissaire Broussard, le reçoit dans son appartement, une bouteille de champagne à la main, le temps d'un face à face mémorable.
Mais au-delà de ces traits d'humour, subsiste la violence. Une violence effroyable, plus contenue cette fois, plus palpable également. On appréhende mieux alors la démarche psychosociologique de Mesrine, ses perpétuelles questions, ses contradictions extrêmes ainsi que ses pulsions meurtrières et c'est alors toute sa haine qui se déverse sur nous en même temps que sur ses victimes, dans une force inouïe d'une rare intensité. Car si L'ennemi public n°1 est a priori moins haletant que le premier volet de la biographie du gangster, il n'en demeure pas moins d'une cruauté sans limites.
Ainsi, l'énergie du film reste intacte et l'on se plaît à constater une mise en scène un chouïa plus aboutie encore.
Quelques bémols toutefois qui rendent peut-être cette seconde partie un peu moins marquante que la première...
Il ne s'agit pas tant ici d'un effet de découverte évidemment moins présent que de la fin du film en elle-même qui, à vouloir trop faire durer le suspense, tire un peu trop en longueur.
La mise en place du guet-apens de la porte de Clignancourt est longue à s'amorcer et si le procédé permet de sentir la tension monter de façon progressive, elle s'essouffle malgré tout un peu en même temps que le spectateur qui, naturellement, sait déjà à quoi s'attendre pour le bouquet final du film.
Un bouquet final fort heureusement magistral, mené d'une main de maître par un réalisateur talentueux et qui, dans une pluie de balles, met un terme à l'embuscade diabolique tendue par Broussard et ses acolytes, nous laissant scotché à notre siège pour de bon tandis que disparaît le dernier "vrai" gangster français...
Mesrine est mort, le sang se répand, le temps se fige.
Arrêt sur une image époustouflante de réalisme, brillante même.
Le résultat est impeccable et effroyable à la fois.
Où se situe le bien, où se situe le mal? ... Toujours l'impossible dilemme qui réapparaît.
Et le corps criblé de balles, Cassel nous ensorcelle, emportant avec lui et à travers ce diptyque magique l'un des plus grands moments de cinéma de l'année 2008...
-Livy-