"Une oeuvre d'art, c'est un monçeau de cicatrices."
C'est sans doute un peu curieux mais je me suis toujours interrogée sur l'importance des cicatrices et sur la façon dont elles marquent nos vies.
L'impact de ces blessures, les souvenirs qu'elles engendrent.
L'imperfection qu'elles laissent sur la peau et qui perdure, comme pour nous dire qu'à un moment elles ont vraiment existé, dans la vie réelle, et que même si on ne s'en souvient plus très bien, elles nous ont fait souffrir.
Le pourquoi du comment elles sont arrivées là, sur notre corps, le marquant à jamais d'une trace indélébile.
Oui car les cicatrices possèdent toujours en elles un semblant d'explication, aussi indirect soit-il, et qui nous pousse à comprendre comment elles nous ont atteintes, un jour précis où l'on avait rien demandé...
Un accident domestique, un moment distrait, une prise de risque, un danger inévitable?
Ces petites traces qui nous parcourent sont bien loin d'être de simples hasards malencontreux de la vie mais s'emparent de notre être, entièrement.
Aussi imparfaites que nos existences, aussi irrégulières que nos personnalités, aussi soudaines que nos changements d'humeur, elles ont ce je-ne-sais-quoi d'un peu poétique qui les fait vraiment se dévoiler dans une pudeur un brin magique et ainsi pouvoir exister en tant que telles.
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Alors les cicatrices sont-elles si moches qu'elles le laisseraient supposer? Faudrait-il vouloir les effacer? S'en débarrasser pour de bon?
Porter aux oubliettes ce qui, soi-disant, ne vaut pas la peine d'être vécu?
Longtemps, je dois dire que je l'ai pensé et pire encore, que je ne les aimais pas.
Elles me rappelaient ma condition d'être humain, fragile, exposé, vulnérable, et d'une façon ou d'une autre, cela ne me convenait guère.
Non pas que j'en sois couverte non plus, loin de là, mais il y avait ce petit quelque chose de dérangeant, dans un souci d'esthétique sans doute infondé et une envie de quasi-perfection aussi.
Je me serais ainsi imaginée plus "normale", plus "propre", mais comme je me trompais!
C'aurait sans doute été plus simple de me fondre dans une sorte de neutralité mais qu'aurais-je donc fait alors de mon identité, de mon "moi" profond et de toute l'histoire qui pourrait s'ensuivre?
Avais-je vraiment l'envie d'être si quelconque?
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La perfection n'existe pas en fait, ce n'est assurément pas un scoop mais j'en suis ravie.
Les magasines, les photographes se shootent en vain à Photoshop pour nous donner l'image d'un monde lisse et de gens plats.
Ce n'est même pas déplaisant au fond, mais c'est juste inutile et faux.
La vie a son relief propre et cela inclut nos cicatrices, toutes nos cicatrices.
Je l'ai surtout compris il y a deux ans jour pour jour ou distraite, je m'en suis créée une toute nouvelle, involontaire et douloureuse à souhait.
(parce qu'évidemment, j'ai un sens de la douleur très prononcé)
Une plaie disgracieuse et idiote, fifille un peu à l'ouest qui se prend les pieds sur une barre d'acier rouillé sur son balcon, qui m'a valu une grosse frayeur, un passage par la case "Urgences", quelques points de suture et qui m'a surtout cloué chez moi tout un mois durant, m'empêchant de marcher pour de bon si ce n'est en sautillant maladroitement sur le pied de secours.
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De cette période cependant et aussi incroyable que ce soit, je garde de bons souvenirs.
Je souffrais un peu certes.
J'avais de ce fait quelques coups de blues bien sentis.
Je me sentais isolée chez moi et pourtant...
Je revois dans les tréfonds du passé quelques réminiscences de soirées malicieuses à jouer de la guitare, de séquences DVD à la maison appréciées à leur juste valeur, de coups de fil qui font chaud au coeur, de visites surprises et de rêveries à n'en plus finir.
Des moments inspirés et inattendus, un peu hors du temps, un peu dans une autre vie je crois, à profiter pleinement de tout ce qu'une souffrance (légère) peut provoquer comme changements sur sa propre personne.
De pensées en pensées, la douleur qui primait d'abord n'a eu d'égal qu'une multitude de petits souvenirs propres à ma blessure, souvent joyeux et impromptus, parfois un peu chagrins mais surtout gorgés de musiques enivrantes, fortement inspirées, qui me rappellent cette période passée, décuplant alors émotions et sentiments dans une part de la vie, tout simplement.
Il aurait été bien dommage ainsi de la supprimer, elle, ma petite marque au pied.
Elle, s'amusant à m'évoquer toute une flopée d'instants de bonheur, de malheur, de pleurs ou de sourires, symbolique d'une époque décidemment révolue.
Il aurait été regrettable de gommer souvenirs, douceur et nostalgie, incident et instant de vie, simplement pour la grande et noble cause de la perfection.
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Aujourd'hui, par habitude et parce que ça fait tout juste deux ans, j'ai jeté un coup d'oeil à la petite cicatrice du balcon.
Comme pour vérifier qu'après tout le chemin parcouru, elle était toujours là, à m'accompagner et me suivre partout.
Et là, surprise...
Si elle existe encore bel et bien, ne serait-ce qu'un tout petit peu, le temps, les années l'ont amoindri comme jamais je n'aurais imaginé. A peine perceptible à l'oeil nu, elle possède juste cette légère courbe qui me permet de ne pas l'oublier; cet arrondi quasi-artistique que j'aurais presque souhaité plus marqué, plus marquant.
Mais elle n'est plus qu'une trace limite invisible que le temps a guéri et a rendu plus jolie encore dans une sorte d'allégorie qui me plaît étrangement.
Tout comme moi, elle a traversé les années et puis elle a évolué,
Elle a disparu presque intégralement sous le poids des mois se pliant à la loi de la vie qui passe et laissant place à des cicatrices nouvelles et des instants de vie nouveaux.
Légers. Surprenants. Fluides.
Et puisqu'elle n'est pas plus utile que cela à présent, elle s'en va.
Et tout comme j'ai aimé la voir changer, j'aime la voir s'en aller, tout doucement.
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C'est un fait alors, j'ai une fascination pour les cicatrices et tout ce qui burine notre peau dans le but de nous rendre moins communs parce que la vraie beauté se révèle précisément dedans et que l'esthétique s'en trouve transcendé.
La vraie beauté n'est pas d'atteindre un idéal qui nous rendrait tous semblables les uns aux autres mais au contraire de nous faire vivre des choses, intenses, palpitantes, angoissantes aussi, de par nos actes et notre histoire, immanquablement gravée sur chacun de nous et qui s'inscrit, suivant le temps qui défile...
La vraie beauté puise sa force dans l'art, dans la douleur, l'effort et la difficulté.
Elle s'éprend de souvenirs comme elle se nourrit d'évènements nouveaux.
Elle est plurielle et impalpable.
Irrégulière et instable.
Elle est "nous".
Et en ce sens, je ne pourrais qu'approuver: les cicatrices de la vie sont tellement belles.
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A elles toutes seules, elles décorent, dessinent, façonnent la peau, nous rendant par la même occasion plus unique car moins lisse.
Morales ou physiques, insupportables sur le moment, douces avec le temps, elles sont une part de notre histoire personnelle, d'un vécu propre à chacun, et traversent avec nous la grande aventure de l'existence, lui donnant souvent un sens que l'on n'imagine même pas tant il est abstrait.
Et leur poésie assurément, provient de ce sens caché que je ne cesse de m'efforcer à chercher, comme pour trouver des réponses à mes questions sur tout ce que la vie peut bien générer de mystérieux, d'artistique et de passionnant...
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(Ah si seulement, je pouvais penser la même chose de ces magnifiques traces de l'existence que sont les premières rides... ^^)
-Livy-
Envie de philosopher
BONUS
--> Buckshot Lefonque - Another day <--
... Juste pour planer un peu...